• Je publie cet article écrit voici plus d'un an, parce qu'il est révélateur de la désinformation - en l'occurrence, ici, sur Madagascar. Eva

     

     

     

     


    Sommaire :
    Luttes d'influences à Madagascar.
    Ce qu'on vous cache.
    Editorial d'Eva

     


     

    Madagascar : Ce que les Médias ne disent pas.
    Evangélistes néoconservateurs
    et pétrole à Madagascar.
    Luttes d'influences :
    Néocons américains
    et colonialistes français.

    Editorial d'Eva, caustique

     

    Mes amis,

    Les médias s'acharnent à nous désinformer. Silence Guadeloupe, d'abord, pour éviter que la crise ne donne des idées aux Français mécontents. Et puis, il a bien fallu parler. Sous la pression des événements. Et ils risquent, en effet, d'être contagieux. Car ils ont été menés de main de maître par les opposants au statut-quo scandaleux.

    Puis ce fut Madagascar. Avec à sa tête Marc Ravalomanana, un Président issu de la mouvance évangéliste. Lorsqu'il a été élu, connaissant particulièrement bien le milieu évangélique, je me suis interrogée. Un Président de cette mouvance ? Et d'ailleurs, laquelle, exactement ? Evangélique, avec des chrétiens dits "nés de nouveau" à une vie nouvelle par la Puissance de l'Esprit Saint, en accord avec les préceptes divins ? Ou évangéliste, avec les intégristes de ce mouvement, fanatiques de l'Amérique de Bush, ultra-sionistes, nostalgiques de l'apartheid sud-africain et de la suprématie blanche, et supporters de la Théologie de la Prospérité, selon laquelle Dieu bénirait ses ouailles fidèles en les rendant très riches ? Tiens donc ! Moi, j'ai appris dans le Nouveau Testament qu'il fallait choisir entre Dieu et Mâmon, qu'il ne fallait pas adorer le Veau d'or, qu'il fallait opter pour le non-attachement aux biens matériels et même que les pauvres étaient les préférés de Dieu, et qu'ils hériteraient du Royaume de Dieu. Mais passons.

    Marc Ravalomanana, chef d'entreprise particulièrement prospère, potentat local, est un adepte de la Théologie de la Réussite, qui stipule, à tort donc, qu'une
     personne vivant dans l'opulence est agrée par Dieu, bénie par Lui. Les pauvres n'ont que ce qu'ils méritent, les riches sont gratifiés par Dieu pour leur comportement. C'est ainsi, point, et tant pis pour la cohérence avec l'Evangile.

    Et lorsque j'ai vu arriver au pouvoir ce Président béni par la vie sinon par Dieu lui-même, outrageusement et médiatiquement évangélique, comblé d'honneurs et d'argent, je me suis demandée quel chef d'Etat il ferait. Sans doute bien loin des préoccupations de son peuple peu gâté par la vie, lui, souffrant du chômage, de la pauvreté, et même de la misère. Toujours est-il que la campagne a été brillamment menée, à l'américaine. Dieu reconnaîtra les siens !

    Patatra ! Voilà le héros à terre, terrassé par un vulgaire disc-jockey, ayant réussi, lui aussi, mais moins évangélique que le fameux Marc.

    Or, Ravalomanana, par ses engagements religieux, sincères ou pas, par sa réussite professionnelle hors du commun sur l'île, devait être pour moi plus un ultra-libéral proche des néoconservateurs américains qu'une brebis sainte. Tiens donc ! Je ne m'étais pas trompée. Le lascar en question avait le regard plus tourné vers Washington que vers ses électeurs - une fois élu, s'entend. L'écrivain-politologue Frédéric Delorca parle à son sujet, sur son blog Atlas Alternatif, de "néo-libéral pro-américain". Oui, ultra-libéral néoconservateur. A Madagascar ! 

    De son côté, avec Sarkozy ou pas, la France veille à son pré-carré... Colonialisme, encore et toujours !

    Et voilà que l'on découvre du pétrole sur la belle île peuplée par des pauvres et dirigée par un milliardaire choyé par le Destin.

    Pétrole ? Comme au Darfour, au Soudan, en Irak, en Iran... Curieux, ce silence des médias quand un pays regorge d'or noir ! La presse préfère pointer le doigt sur les engagements humanitaires, au demeurant fort médiatisés et accomplis à la vitesse des météores, d'un Kouchner, et sur les jacassements d'un BHL à l'affût des projecteurs, encore et toujours.

    En attendant, Madagascar intéresse désormais l'Elite, avec ses pauvres, et surtout son sous-sol. Gaza aussi intéresse Israël, depuis qu'on y a découvert le précieux gaz offshore. Et voici les appétits allumés, les peuples floués, les crises multipliées, les guerres déclarées. Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ? Qu'à cela ne tienne, on supprime le peuple, à petits feux ou à feux nucléaires, et on pique le gaz. Vous avez dit armée la plus morale du monde ?

    Quant à Madascar, la voici condamnée à voir accourir les financiers de la City, les évangélistes yankees, les stratèges israéliens de la division, et tant pis pour les autochtones. Après s'être enthousiasmée pour un croyant modèle ayant fait fortune, la voici s'enflammant pour un disc-jockey aux bonnes fortunes avérées (dans le secteur de la Publicité).


    Qu'en est-il exactement ? Les Français ont choisi leur camp, mais chut ! Cela ne s'ébruite pas. Quant aux autres, par l'odeur du pétrole alléchés, les voici accourir sur la belle île pour y faire fortune. On fustige toujours les Islamistes, mais les Evangélistes chrétiens et les néo-Sionistes, c'est pas mal aussi ! Et gageons que si Madagascar regorge en effet de précieuses ressources, l'or noir par exemple, le tourisme militaro-financier explosera, et tant pis pour la population. Encore et toujours !

    Que dirait le Petit Prince de St Exupéry s'il visitait notre planète concotée par les fieffés démocrates et "pieux" occidentaux ?

    A Madagascar, en tous cas, l'or noir va couler, et le sang aussi, un jour ou l'autre. Quant à la pauvreté, que croyez-vous qu'elle va devenir ? Gageons que les peuples soumis aux auto-proclamés champions de la Liberté et aux supporters de la Théologie de la Prospérité, ne verront pas la couleur de l'or, et qu'ils seront, encore et toujours, les dindons de la sinistre farce planétaire revue et corrigée par les fervents chrétiens américains, les si moraux néo-sionistes, et ne l'oublions pas, les charitables dirigeants des compagnies pétrolières. Avec en prime les Français.

    La Totale !

    Eva

    TAGS : Total, Madagascar, Marc Ravalomanana, France, pétrole, Evangélistes, Evangéliques, Islamistes, Néo-sionistes, la City, Wall-Street, Théologie de la Prospérité, Darfour, Soudan, Irak, Iran, Gaza, gaz, Bush, Médias, BHL, Guadeloupe, Kouchner, chrétiens... 



    Marc Ravalomanana :
    Qui est cet homme d'affaires ?


    Quels intérêts politiques et économiques sous-tendent ce changement de régime ? Pourquoi les médias ne parlent-ils pas du pétrole découvert à Madagascar ? Peu avant la crise, le gouvernement créait la société nationale du pétrole dont l’Etat serait le seul actionnaire. Cela a-t-il eu un impact sur cette crise ? Et enfin, une réponse efficace sera-t-elle apportée aux besoins de la population malgache, principale victime du conflit ? 

    Sur
    http://michelcollon.info
     


    Les néo-libéraux pro-américains
    renversés à Madagascar

    Comme en Mauritanie, l'armée à Madagascar s'est posée en arbitre des conflits au sein de la classe politique. Après deux mois de mobilisation populaire contre le président Marc Ravalomanana, l'armée malgache a appuyé l'arrivée au pouvoir du maire d'Antananarivo Andry Rajoelina. L'Union européenne, les Etats-Unis et la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC), ont condamné ce coup d'Etat.

     Le quotidien Ouest-France du 20 mars 2009 cite
    Denis Alexandre et Yvan Combeaux, du Centre de recherches sur les sociétés de l'océan Indien selon lesquels la France (ainsi que l'ex-président pro-soviétique devenu pro-français Didier Ratsiraka) serait derrière ce coup d'Etat contre Ravalomanana qui nourrissait de la francophobie et une sympathie pour ce qui est américain (Ravalomanana, patron du plus puissant groupe agro-alimentaire du pays, Tiko, était soutenu par les évangélistes étatsuniens). Andry Rajoelina quant à lui s'était réfugié à l'ambassade de France le10 mars dernier après avoir été déchu par le gouvernement. L'extrême gauche française comme le site Futur Rouge  (NB : maoïste) crie au retour de "l'impérialisme français".

    La nouvelle intervient alors que la France prise dans la crise économiqie 
    remobilise la zone franc. Il y a un mois, le 23 février à­ l’in­itia­tive d­e Chr­is­tin­e La­g­a­r­d­e, m­in­is­tr­e fr­a­n­ça­is­ d­e l’Econ­om­ie, d­e l’in­d­us­tr­ie et d­e l’em­ploi, les­ autorités­ fin­a­n­cièr­es­ et écon­om­iques­ d­e la­ Z­on­e fr­a­n­c s­e s­on­t r­etr­ouvées­ à Pa­r­is­.

    Sur divers sites de gauche
    Bernard Grangeon pour sa part dresse le bilan de la présidence de Marc Ravalomanana et de l'état du paysage politique malgache en ces termes :

    "L’union des Merina pour le changement social, mettre fin à la corruption, construire des infrastructures, projeter le pays dans le développement économique, fut rapidement trompée et niée par la réalité de la "bonne gouvernance" : libéralisme sauvage, montée des liens avec le capitalisme américain, les chrétiens démocrates allemands, les dirigeants de la Chine populaire et de la Corée du Sud (en janvier, le PC chinois a passé un accord avec Ravolomana pour l’imprimerie des cartes d’adhérents de son parti présidentiel ! ), adhésion et prosélytisme publics du président en faveur d’une église évangéligique américaine, le tout au détriment à la fois des positions traditionnelles de la majorité de la bourgeoisie Mérina et des anciens liens néocoloniaux avec la France. Finalement ce président PDG, menaçant les libertés individuelles, dévaluant la monnaie, promouvant sa propre entreprise, a poussé la population à l’exaspération complète. La vente massive de la terre des ancêtres au trust Daewoo a symbolisé cette politique et cristallisé les mécontentements.

    C’est ce qui a conduit aux dernières municipales à la victoire contre toute attente du jeune Andry Rajoelina contre le candidat présidentiel. Cette nouvelle donne en cache une autre, beaucoup plus profonde et de nature nouvelle : la division de la bourgeoisie Mérina, la couche dominante traditionnelle de Madagascar.

    Aujourd’hui les partis politiques malgaches, tant ceux de la bourgeoisie qui n’a jamais vraiment eu d’expression politique directe, que ceux issus de l’histoire de la gauche, sont en lambeaux, seule la petite AKFM est restée fidèle à ses valeurs, mais est peu connue de la jeunesse. Le grand mouvement actuel vit des traditions de lutte du peuple malgache, mais n’a pas de parti, pas d’organisation, pas de représentation politique. C’est très largement une vague spontanée, dirigée contre ceux qui sont perçus comme les voleurs au pouvoir."

    Il semble donc que l'armée ait suppléé à la fois la vacance du pouvoir (selon Grangeon, les ministères sont vides depuis plusieurs semaines) et l'incapacité du peuple à donner une traduction concrète à son aspiration, qui est, comme au moment de la révolution malgache de 1973 : "pour une indépendance nationale totale et réelle".

    http://atlasalternatif.over-blog.com/article-29258422.html


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  •  

    arte

     

    http://laregledujeu.org/2010/10/07/3020/arte-cest-leurope/

     

     

    Le 19 h d'Arte, 24 décembre 2010,

    par eva R-sistons

     

     

    Joli cadeau de Noël d'Arte !

     

    Il nous a offert, ce soir-là, un concentré de toutes ses préoccupations habituelles. En bon média au service de l'Occident militaro-financier ! Et tant pis pour la désinformation, propagande oblige...  

     

    Or donc, au menu de ce 24 décembre:

     

    Côte d'Ivoire, le vilain Gbagbo contre le gentil élu. Elu par qui ? Par les autochtones ? Pas du tout ! Résultats truqués, au Nord, le territoire du chéri de l'Occident;  mais ceux-là, on ne les a pas comptabilisés, bien sûr ! Il faut que l'ancien commis du FMI l'emporte, pour que l'Occident, à travers lui, puisse piller à sa guise la Côte d'Ivoire. Et en avant la campagne des Médias aux ordres de l'Empire anglo-saxon et israélien contre Gbagbo le socialiste ami des Chinois et qui goûte peu la politique si française en Afrique !

     

    Ensuite, Corée. Gentille Corée du Sud, contre vilaine Corée du Nord, non alignée sur l'Occident. Refrains habituels...

     

    Puis Arte nous sert un reportage sur les chrétiens persécutés par les Irakiens, ces vilains Musulmans. En oubliant de dire que les chrétiens, avant l'occupation américaine qui a divisé le pays et l'a ruiné, étaient bien traités par S. Hussein, comme ils le sont d'ailleurs en Iran ou en Palestine occupée.  D'ailleurs, les Chrétiens d'Orient ont toujours défendu  les Arabes, les Musulmans, les Palestiniens, auprès de qui ils vivaient en bonne intelligence avant que l'Occident ne s'en mêle.

     

    Etonnant !  Ce 24 décembre, Arte a omis de critiquer l'Iran et la Chine. Ou le Vénézuela et Cuba. Il faut bien varier les désinformations !

     

    Alors, elle est pas belle, la télévision franco-allemande ?

     

    eva R-sistons aux médias menteurs

     


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  • Pascual SERRANO

    Etablir ou insinuer un rapport direct entre deux faits peut-être une forme de manipulation informative. On critiqua récemment que les périodiques ABC et El Mundo mettent en relation une mort par pathologie cardiaque à l’aéroport de Madrid avec la grève des contrôleurs. « Mon père est mort tombé dans des toilettes de Barajas à cause de la grève des contrôleurs », titre ABC. De son côté, El Mundo a mis la nouvelle en première page, avec pour titre : « A cause de ces crapules mon père est mort sans sa famille » avec sur trois colonnes les photos de la fille et du père.

    Une fois lu l’article nous apprenons que la fille du défunt reconnaît que les contrôleurs « n’assassinèrent pas mon père, mais s’ils n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait et si le destin de mon père était celui-là, ce serait survenu à la maison, entouré des siens ». Elle ajoute que « nous ne savons pas si la pagaille qui se produisit dans l’aéroport a pu affecter sa santé ». Néanmoins, les gros titres, moyennant l’association de deux faits, pointent les contrôleurs comme responsables de la mort. Bien sûr, qui sait si quelqu’un n’est pas mort éloigné de sa famille du fait de la suspension des vols de l’entreprise Air Comet, propriété de l’entreprise espagnole Diaz Ferran (Diaz Ferran, président du CEOE, le Medef espagnol, a été mis en faillite personnelle).

    Bien que ce cas de manipulation ait été très divulgué, le 16 décembre est advenu un autre similaire qui est passé presque inaperçu. Il s’agissait de la manière dont El Pais présente un des câbles de Wikileaks. Le quotidien espagnol titrait : « Chavez a facilité la fuite de plusieurs ettaras (membres de l’ETA, Ndt) au Venezuela, selon l’ex-directeur du CNI (Services Secrets espagnol, Ndt) ». Le fait concret était simplement que l’ex-directeur du CNI, Jorge Dezcallar, a attendu trois heures dans l’antichambre du président vénézuélien avant d’être reçu. Le quotidien espagnol se sert de ce fait pour commencer son article ainsi :

    “Hugo Chavez fit attendre durant des heures dans l’antichambre de son bureau présidentiel de Caracas l’ex-directeur du Centro National de Inteligencia (CNI), Jorge Dezcallar, pour gagner du temps et faciliter la fuite de plusieurs membres de l’ETA réfugiés dans ce pays, auteurs de 36 assassinats et réclamés par la justice espagnole, assure un câble confidentiel du Département d’Etat des USA”.

    La relation entre l’attente et la fuite de trois ettaras sur les six que recherchait le CNI est une conclusion absolument arbitraire. Le quotidien le dit (et le titre) parce que, à son tour, le Département d’Etat dit ce que lui a dit le haut responsable du CNI. On ne comprend pas alors pourquoi, en revanche, les trois autres membres de l’ETA étaient eux détenus. Le câble lui-même signale que l’agent du CNI reconnaît que « quand il put finalement faire sa demande, Chavez l’accepta de bon gré ».

    Il est complètement absurde de rendre responsable un chef d’Etat de la fuite de gens réclamés par la justice que le mandataire lui-même accepte de livrer, seulement parce qu’on a attendu plusieurs heures pour être reçu. Supposons que si à la sortie de la réunion un autobus ait écrasé Dezcallar le titre aurait été que Chavez le fit attendre pour coïncider dans le temps avec la trajectoire de l’autobus.

    Pascual Serrano

    Pascual Serrano est journaliste. Il vient de publier le livre “Traficantes de informacion. La historia oculta de los grupos de comunicacion españoles”, Ed. Foca, novembre 2010.

    Source : www.rebelion.org/noticia.php?id=118862

    Traduction de l’espagnol par GJ


    URL de cet article 12275 Legrandsoir.info


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  •  

    Face à l’interconnexion des crises à l’échelle mondiale, quelles alternatives ? Sommes-nous informés correctement sur la crise ou les médias mainstream ne font qu'un travail cosmétique et ne donnent de nouveau la parole qu'aux responsables de la crise ? En 2008, Eric Toussaint, politologue et président du CADTM Belgique proposait une lecture toujours d'actualité et sans compromis d'une crise aussi prévisible qu'inacceptable. (Michelcollon.info)

     

    Face à l’interconnexion des crises à l’échelle mondiale, quelles alternatives ?

    Sommes-nous informés correctement sur la crise, ou les médias mainstream ne font-ils qu'un travail cosmétique et ne donnent-ils la parole qu'aux responsables de la crise?

    http://www.dailymotion.com/video/x7634m_crise-financiere-ce-que-le-public-d_news#from=embed
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    Quelques fondements juridiques

    de l’annulation de la dette

    Eric Toussaint
    Vendredi 10 Décembre 2010

    Quelques fondements juridiques de l’annulation de la dette
    Plusieurs fondements juridiques justifient l’annulation (ou répudiation) de la dette. Sont résumées dans cet article, les notions de “dette odieuse”, “force majeure” et “état de nécessité ”. D’autres arguments juridiques peuvent être également invoqués mais ils ne seront pas abordés ici. 
    1. La "Dette odieuse" |1|
    Les dettes des Etats contractées contre les intérêts des populations locales sont juridiquement frappées de nullité.
    Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, qui s’est depuis enrichie, “ Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…) Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ” (Sack, 1927).
    Ainsi, les dettes contractées à l’encontre des intérêts de la population du territoire endetté sont “odieuses” et, en cas de changement de régime, les nouvelles autorités ne sont pas tenues de les rembourser.
    La doctrine de la dette odieuse trouve son origine au 19ème siècle |2|. Une de ses applications remonte à l’année 1898, lorsque les Etats-Unis prirent le contrôle de Cuba après la guerre contre l’Espagne |3| et que celle-ci leur demanda d’assumer la dette cubaine à l’égard de la couronne espagnole. La Commission de négociation des Etats-Unis refusa cette dette, la qualifiant de “poids imposé au peuple cubain sans son accord”.
    Selon ses arguments, “la dette fut créée par le gouvernement de l’Espagne pour ses propres intérêts et par ses propres agents. Cuba n’a pas eu voix au chapitre”. La Commission ajouta que “les créanciers ont accepté le risque de leurs investissements”. Le litige fut éteint par la conclusion d’un traité international entre les Etats-Unis et l’Espagne signé à Paris en 1898. La dette fut entièrement annulée.
    Plus tard, en 1923, une Cour d’arbitrage internationale, présidée par le juge Taft, président de la Cour suprême des Etats-Unis, déclara que les prêts concédés par une banque britannique (établie au Canada) au président Tinoco du Costa Rica étaient nuls parce qu’ils n’avaient pas servi les intérêts du pays mais bien l’intérêt personnel d’un gouvernement non démocratique. Le juge Taft déclara à cette occasion que “le cas de la Banque royale ne dépend pas simplement de la forme de la transaction, mais de la bonne foi de la banque lors du prêt pour l’usage réel du gouvernement costaricain sous le régime de Tinoco. La Banque doit prouver que l’argent fut prêté au gouvernement pour des usages légitimes. Elle ne l’a pas fait.” (Juge Taft, cité dans Adams, 1991, p. 168).
    Les régimes légaux qui succédèrent aux dictatures d’Amérique latine dans les années 1980 (Argentine, Uruguay, Brésil, etc.) auraient pu s’appuyer sur le droit international pour obtenir l’annulation des dettes odieuses contractées par les régimes militaires. Ils n’en ont rien fait. Le gouvernement des Etats-Unis y a veillé méticuleusement. Et pour cause : les dictatures avaient été soutenues activement (quand elles n’avaient pas été mises en place) par les Etats-Unis et les principaux créanciers n’étaient autres que les banques des Etats-Unis. Sous d’autres cieux aussi, d’autres pays auraient parfaitement pu exiger l’annulation de dettes odieuses. Pour ne citer que quelques autres exemples flagrants : les Philippines après le renversement du dictateur Ferdinand Marcos en 1986, le Rwanda en 1994 après le génocide perpétré par le régime dictatorial |4|, la République sud-africaine au sortir de l’apartheid, la République démocratique du Congo en 1997 après le renversement de Mobutu, l’Indonésie en 1998 après le départ de Suharto, etc.
    « La responsabilité morale des créanciers est particulièrement nette dans le cas des prêts de la guerre froide. Quand le FMI et la Banque mondiale prêtaient de l’argent à Mobutu, le célèbre président du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), ils savaient (ou auraient dû savoir) que ces sommes, pour l’essentiel, ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays mais à enrichir Mobutu. On payait ce dirigeant corrompu pour qu’il maintienne son pays fermement aligné sur l’Occident. Beaucoup estiment injuste que les contribuables des pays qui se trouvaient dans cette situation soient tenus de rembourser les prêts consentis à des gouvernants corrompus qui ne les représentaient pas.  »
    Joseph Stiglitz, La grande désillusion
    Au lieu de fonder un refus de reconnaissance de dette sur le droit national et international, les nouveaux gouvernants préférèrent négocier des rééchelonnements et des allégements cosmétiques avec les créanciers. Ils entrèrent ainsi dans le cycle interminable de l’endettement extérieur dont les peuples font toujours les frais.
    La doctrine de la “dette odieuse” a été évoquée régulièrement par différents mouvements citoyens favorables à l’annulation des dettes mais les régimes post-dictature et, bien sûr, les créanciers ont fait la sourde oreille. Le débat a été relancé par le gouvernement des Etats-Unis en avril 2003. Dans des circonstances qui ne sont pas sans rappeler le précédent de la guerre entre l’Espagne et les Etats-Unis en 1898, les Etats-Unis ont demandé à la Russie, la France et l’Allemagne d’annuler les dettes odieuses dont l’Irak était redevable. Reprenant textuellement la définition de la dette odieuse formulée plus haut, ils ont affirmé que les dettes contractées par le dictateur Saddam Hussein étaient frappées de nullité. La situation s’est réglée au sein du Club de Paris qui a annulé 80 % de la dette, sans finalement faire référence à la notion de dette odieuse, pour éviter que d’autres pays réclament l’annulation de leurs dettes en invoquant le même motif.
    Pour avancer dans la perspective de l’identification de la dette odieuse, le recours à une enquête citoyenne (audit) sur la légitimité des dettes dont les créanciers exigent le remboursement, constitue un outil fondamental. Les parlements et les gouvernements des pays endettés pourraient réaliser un audit de la dette. Certains pays sont dotés de dispositions constitutionnelles qui le prévoient explicitement (Brésil – Constitution de 1988). De puissantes mobilisations citoyennes ont revendiqué dans différents pays la mise en route d’une procédure d’audit. Ce fut le cas au Brésil en septembre 2000 quand la Campagne Jubilé Sud, la Conférence nationale des Evêques, le Mouvement des Sans Terre (MST), la Centrale unitaire des Travailleurs (CUT) organisèrent un référendum sur la dette. Six millions de citoyens et citoyennes y participèrent, dont plus de 95 % appuyèrent la demande d’organisation d’un audit.
    La réalisation d’audits avec pour fonction de déterminer le caractère odieux ou non de tout ou partie des dettes d’un pays constitue un enjeu de toute première importance. Ci-dessous, un tableau provisoire et non exhaustif des dettes odieuses pour une liste limitée de pays prouve que les montants concernés par la dette odieuse sont tout à fait considérables. Le tableau est provisoire car la fonction de l’audit (avec participation citoyenne) vise précisément à déterminer de manière rigoureuse l’ampleur de la dette odieuse frappée de nullité. Il n’en constitue pas moins une incitation à la réflexion, à la recherche et à l’action citoyenne.
     
    Une dette largement odieuse (en Mds $)
    Pays Régime dictatorial Période de la dictature Dette odieuse (dictature) Stock de la dette en 2007 (en Mds $)
    Indonésie Suharto 1965-1998 151 141
    Irak Saddam Hussein 1979-2003 122 81
    Brésil Junte militaire 1965-1985 104 237
    Argentine Junte militaire 1976-1983 37 128
    Corée du Sud Régime militaire 1961-1987 33 249
    Philippines Marcos 1965-1986 28 66
    Turquie Régime militaire 1980-1989 23 251
    Maroc Hassan II 1961-1999 23 20
    Afrique du Sud Apartheid 1948-1991 22 43
    Thaïlande Militaires 1966-1988 22 63
    Chili Pinochet 1973-1990 15 59
    Tunisie Ben Ali 1987- 13 20
    Zaïre/RDC Mobutu 1965-1997 12 12
    Nigeria Buhari/Abacha 1984-1998 12 9
    Pakistan Militaires 1978-1988 9 41
    Pakistan Pervez Musharraf 1999-2008 16
    Pérou Fujimori 1990-2000 9 32
    Soudan Nimeiry 1969-1985 9 19
    Ethiopie Mengistu 1977-1991 9 2,6
    Kenya arap Moi 1978-2003 5,7 7,4
    Congo Sassou 1979- 4,2 5,2
    Iran Shah 1941-1979 4,5 21
    Bolivie Junte militaire 1964-1982 3,3 4,9
    Myanmar (Birmanie) Régime militaire 1988- 3 7,4
    Guatemala Régime militaire 1954-1985 2,7 6,3
    Mali Traoré 1968-1991 2,6 2,0
    Paraguay Stroessner 1954-1989 2,4 3,6
    Somalie Siad Barre 1969-1991 2,4 2,9
    Malawi Banda 1966-1994 2,0 0,9
    Togo Eyadema 1967- 2,0 2,0
    Cambodge Khmers Rouges 1976-1989 1,7 3,8
    Liberia Doe 1980-1990 1,1 2,5
    Rwanda Habyarimana 1973-1994 1,0 0,5
    Salvador Junte militaire 1962-1980 0,9 8,8
    Nicaragua Anastasio Somoza 1974-1979 0,9 3,4
    Haïti Duvalier 1957-1986 0,7 1,6
    Ouganda Idi Amin Dada 1971-1979 0,4 1,6
    Centrafrique Bokassa 1966-1979 0,2 1,0
    [La dette odieuse calculée est celle contractée durant la dictature, sans compter la partie contractée après la dictature pour rembourser une dette odieuse de la dictature.]
     
    Ce tableau a été réalisé par Damien Millet et l’auteur sur la base d’un travail préliminaire de Joseph Hanlon (2002).
    Les montants considérés comme dette odieuse (colonne 4) sont dans la plupart des cas inférieurs à la réalité car ils ne se rapportent qu’à la période dictatoriale stricto sensu. Ils ne prennent donc pas en compte les dettes, elles aussi nulles, contractées pour rembourser les dettes odieuses. Il s’agit, à travers l’audit, de déterminer le montant exact des dettes qui entrent dans la catégorie des dettes odieuses. Il s’agit également de compléter la liste des pays concernés.
    Concernant la dette odieuse, plusieurs compléments doivent être apportés à la doctrine formulée par Alexander Sack au siècle passé. Le Center for International Sustainable Development Law (CISDL) de l’Université McGill (Canada) a proposé une définition générale qui paraît tout à fait appropriée : “ Les dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un Etat, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers ” (Khalfan et al., “ Advancing the Odious Debt Doctrine ”, 2002, cité dans Global Economic Justice Report, Toronto, July 2003).
    L’une des trois conditions suivantes permet de qualifier une dette d’odieuse :
    1) elle a été contractée par un régime despotique, dictatorial, en vue de consolider son pouvoir ;
    2) elle a été contractée non dans l’intérêt du peuple, mais contre son intérêt et/ou dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir ;
    3) les créanciers étaient en mesure de connaître la destination odieuse des fonds prêtés.
    C’est le fameux triptyque : absence de consentement, absence de bénéfice, connaissance des créanciers.
    Il ne faut pas abandonner la perspective d’ouvrir à nouveau ce dossier de la dette odieuse même s’il est considéré comme clos par les créanciers, toutes catégories confondues. Les Etats endettés n’ont pas fini de rembourser des dettes odieuses. Ils peuvent encore fonder en droit une décision de répudiation de ces dettes. Par ailleurs, les nouvelles dettes contractées dans les années 1990 et au début des années 2000 par des régimes légitimes, pour rembourser des dettes odieuses contractées par les régimes despotiques qui les ont précédés, devraient tomber elles-mêmes dans la catégorie des dettes odieuses. C’est ce qu’avancent différents experts tels que le CISDL cité plus haut, auquel il faut ajouter Joseph Hanlon (Grande-Bretagne), Hugo Ruiz Diaz (Paraguay), Alejandro Olmos (Argentine) et Patricio Pazmino (Equateur) |5|.
    La définition avancée par le CISDL implique que des créanciers privés qui ont prêté (ou prêtent) de l’argent à des régimes (légitimes ou non) ou à des entreprises bénéficiant de la garantie de l’Etat pour des projets qui n’ont pas fait l’objet d’une consultation démocratique et qui sont dommageables pour la société, prennent le risque de voir ces créances annulées (a fortiori si s’ajoute à cela la complicité active ou passive du créancier à l’égard de détournement de fonds). De nombreux projets anciens ou récents entrent dans cette catégorie (pensons au méga-barrage des Trois Gorges en Chine). Etendre la notion de dette odieuse doit forcer les créanciers à engager clairement leur responsabilité et à se plier à des règles démocratiques, sociales et environnementales sous peine d’aboutir à une situation où ils devront abandonner toute idée de récupération des fonds prêtés.
    Il s’agit également d’élargir le champ d’application de la doctrine de la dette odieuse aux dettes contractées à l’égard des institutions de Bretton Woods (le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales de développement).
    Pourquoi ? Le FMI et la Banque mondiale (créanciers multilatéraux) détiennent environ 450 milliards de dollars de créances sur les pays endettés |6| et une grande partie de ces dettes entre dans la catégorie des dettes odieuses.
    Voici plusieurs cas de figure où la doctrine de la dette odieuse devrait être d’application dans le cadre de la définition donnée par le CISDL :
    1)Les dettes multilatérales contractées par des régimes despotiques (toutes les dictatures mentionnées plus haut ont été soutenues par le FMI et la Banque mondiale) doivent être considérées comme odieuses. Le FMI et la Banque mondiale ne sont pas en droit d’en réclamer le paiement aux régimes démocratiques qui ont succédé aux régimes dictatoriaux (*) ;
    2)Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et légitimes pour rembourser des dettes contractées par des régimes despotiques sont elles-mêmes odieuses. Elles ne doivent pas être remboursées. Ce cas de figure s’applique à une trentaine de pays mentionnés dans le tableau (non exhaustif) ci-dessus (*).
    3)Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et légitimes dans le cadre de politiques d’ajustement structurel préjudiciables aux populations sont également odieuses (la démonstration du caractère préjudiciable de celles-ci a été faite par de nombreux auteurs et organismes internationaux – notamment des organes de l’ONU, voir plus loin). Le fait que pendant près de trente ans, la Banque mondiale et le FMI ont, contre vents et marées, défini et imposé des conditionnalités qui se sont avérées catastrophiques au niveau de la garantie des droits fondamentaux des êtres humains constitue un dol |7|. à l’égard des emprunteurs et de leurs populations. Le contrat d’emprunt en question est frappé de nullité. Les lettres d’intention que les autorités des pays endettés sont obligées d’envoyer au FMI et à la Banque mondiale (sous leur dictée) constituent un artifice construit par ces institutions afin d’être disculpées face à d’éventuelles poursuites judiciaires. Cette procédure n’est qu’un artifice |8| : tout comme un individu NE peut PAS accepter d’être réduit en esclavage (le contrat par lequel il aurait renoncé à sa liberté n’a strictement aucune valeur légale), un gouvernement ne peut pas renoncer à l’exercice de la souveraineté de son pays. Dans la mesure où elle annihile l’exercice de la souveraineté d’un Etat, cette lettre est nulle. Les institutions de Bretton Woods ne peuvent pas utiliser la lettre d’intention pour se disculper. Elles restent pleinement responsables des torts causés aux populations via l’application des conditionnalités qu’elles imposent (l’ajustement structurel, aujourd’hui rebaptisé Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté - CSLP - pour les PPTE ou Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance - FRPC - pour les autres)
    4)Il faudrait également prendre en considération le caractère antidémocratique des institutions de Bretton Woods elles-mêmes (majorité requise de 85% ; droit de veto accordé de fait aux Etats-Unis qui détiennent environ 17% des voix ; déséquilibre évident dans la répartition des voix).
    5)Simultanément aux actions menées en faveur de l’annulation des créances multilatérales, il s’agit de mener un combat pour obtenir des réparations de la part des institutions de Bretton Woods à l’égard des populations victimes des dégâts humains et environnementaux causés par leurs politiques (*).
    6)Enfin, il s’agit de poursuivre au civil et au pénal les responsables de ces institutions pour les violations des droits humains fondamentaux auxquelles elles se sont livrées (et se livrent encore) en imposant l’ajustement structurel et/ou en prêtant leur concours à des régimes despotiques (*).
    Tous les points marqués de l’astérisque (*) s’appliquent également aux dettes bilatérales et aux créanciers bilatéraux.
     
    2. La “force majeure” et le “changement fondamental de circonstances”
    On peut aussi soutenir en droit l’annulation de la dette et la suppression de son remboursement en invoquant l’argument de la force majeure |9| et celui du changement fondamental de circonstances. Au niveau du Droit international, la Commission de Droit international de l’ONU (CDI) définit ainsi la “force majeure” : "L’impossibilité d’agir légalement (…) est la situation dans laquelle un événement imprévu et extérieur à la volonté de celui qui l’invoque le met dans l’incapacité absolue de respecter son obligation internationale en vertu du principe selon lequel à l’impossible nul n’est tenu" |10|.
    La jurisprudence en matière de droit international reconnaît qu’un changement dans les conditions d’exécution d’un contrat peut l’annuler |11|. Cela signifie en substance que les contrats qui requièrent l’accomplissement d’une succession d’engagements dans le futur sont soumis à la condition que les circonstances ne changent pas (dans le droit commun, il existe différentes doctrines liées à ce principe, y compris “force majeure”, “frustration”, “impossibilité” et “impraticabilité”).
    La force majeure et le changement fondamental de circonstances s’appliquent de manière évidente à la crise de la dette des années 1980. En effet, deux facteurs exogènes provoquèrent fondamentalement la crise de la dette à partir de 1982 : la hausse dramatique des taux d’intérêt imposée au niveau international par le gouvernement des Etats-Unis à partir de fin 1979 et la baisse du prix des exportations des pays de la Périphérie à partir de 1980. Ces deux facteurs furent provoqués par les pays créanciers. Ce sont des cas de “force majeure” qui modifient fondamentalement la situation et qui empêchent les débiteurs de remplir leurs obligations |12|.
     
    3. L’état de nécessité
    Pour fonder en droit le refus de payer, en plus des arguments mentionnés plus haut, on peut également avancer l’argument de l’état de nécessité. L’état de nécessité peut être invoqué lorsque la poursuite des remboursements implique pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable en affectant directement les obligations fondamentales de l’Etat à l’égard des citoyens. A ce propos, la Commission de Droit international de l’ONU (CDI) déclare :
    “ On ne peut attendre d’un Etat qu’il ferme ses écoles, ses universités et ses tribunaux, qu’il supprime les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie simplement pour ainsi disposer de l’argent afin de rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat, de la même façon que d’un individu. ” (CDI, 1980, p. 164-167, cité par Hugo Ruiz Diaz, op. cit.)
     
    Conclusion :
    Il ne faut pas attendre que des institutions internationales ou d’autres catégories de créanciers prennent la décision d’annuler la dette publique. C’est l’action résolue d’un Etat ou d’une coalition d’Etats qui pourra conduire à une telle mesure. Les juristes qui se sont réunis à Quito en juillet 2008 ont parfaitement raison d’affirmer : «  Nous soutenons les actes souverains des États qui, fondés en droit, déclarent la nullité d’instruments illicites et illégitimes de la dette publique, et avec elle la suspension des paiements |13|". 

    Notes

    |1| Pour plus de détails sur les concepts de dettes odieuses et illégitimes, voir « Dette illégitime : l’actualité de la dette odieuse. Position du CADTM », http://www.cadtm.org/Dette-illegiti...
    |2| Pour une présentation synthétique, voir Hugo Ruiz Diaz, “ La dette odieuse ou la nullité de la dette”, contribution au deuxième séminaire sur le Droit international et la Dette organisé par le CADTM à Amsterdam en décembre 2002, http://www.cadtm.org/La-dette-odieu...
    |3| Cuba 1895-1898 : En 1895, une guerre d’indépendance est déclenchée par le poète José Marti, jacobin aux idées proches du socialisme. Le pays entier est en guerre. José Marti organise l’Armée de Libération (plus de 50.000 combattants) et institue la République en Armes. Plus de 150.000 personnes viennent vivre dans les territoires rebelles. L’Espagne livre la guerre totale en 1896-97, avec des camps de concentration ; quelque 400.000 personnes y sont mortes. Mais l’Espagne échoue malgré l’utilisation de 250.000 soldats et elle se voit obligée de concéder l’autonomie en janvier 1898. Les révolutionnaires n’acceptent pas et continuent la guerre. Les Etats‑Unis déclarent la guerre à l’Espagne. Après une brève campagne au cours de laquelle elle a bénéficié du soutien des révolutionnaires cubains, l’armée des Etats-Unis occupe victorieusement l’île. Sans reconnaître la république cubaine, les Etats-Unis signent un pacte avec l’Espagne où celle-ci renonce à Cuba (Traité de Paris, le 10 décembre 1898). 1898-1902 : l’occupation nord‑américaine dure quasiment quatre ans et oblige les membres de l’Assemblée constituante de 1901 à adopter l’amendement Platt (1902). Cuba doit concéder aux Etats‑Unis un droit d’intervention dans l’île pour "préserver l’indépendance cubaine" et maintenir un gouvernement adéquat afin de "protéger la vie, la propriété et les libertés individuelles". Washington reçoit de plus la base de Guantanamo, pour une période illimitée. Le 20 mai 1902, la République cubaine est fondée. Dès sa naissance et jusqu’à la victoire révolutionnaire du 1er janvier 1959, elle est soumise à la politique extérieure des Etats-Unis (source : Yannick Bovy et Eric Toussaint, 2001, Cuba : Le pas suspendu de la révolution, Cuesmes – Belgique, 2001, p. 36-37).
    |4| Dans le cas du Rwanda, le Comité du développement international du Parlement britannique a explicitement évoqué la notion de dette odieuse pour plaider son annulation : “ Une grande partie de la dette extérieure du Rwanda fut contractée par un régime génocidaire… Certains avancent l’argument que ces prêts furent utilisés pour acheter des armes et que l’administration actuelle, et en dernière instance la population du Rwanda, ne devrait pas payer ces dettes “odieuses”. Nous recommandons au gouvernement qu’il pousse tous les créanciers bilatéraux, et en particulier la France, à annuler la dette contractée par le régime antérieur ” (in Report of the British International Development Committee, mai 1998, cité par Chris Jochnich, 2000).
    |5| Voir la contribution de ce dernier au Deuxième séminaire sur le Droit et la Dette organisé par le CADTM en décembre 2002 à Amsterdam www.cadtm.org/pages/espanol/...
    |6| En général, plus un pays du Sud est pauvre, plus la part de sa dette due à la Banque mondiale et au FMI est élevée. Dans le cas de nombreux pays d’Afrique sans ressources naturelles stratégiques, plus de 70% des dettes sont dus aux institutions de Bretton Woods.
    |7| Dol : tromperie commise en vue de décider une personne à conclure un acte juridique ou de l’amener à contracter à des conditions qui lui sont défavorables (définition donnée par le Larousse 2003)
    |8| Dans “ La Grande désillusion ”, Joseph Stiglitz décrit une situation qui remonte à l’époque où il était vice-président de la Banque mondiale : “ Une image peut valoir mille mots, et une photo saisie au vol en 1998 et montrée dans le monde entier s’est gravée dans l’esprit de millions de personnes, en particulier dans les ex-colonies. On y voit le directeur général du FMI (…), Michel Camdessus, un ex-bureaucrate du Trésor français, de petite taille et bien vêtu, (…), debout, regard sévère et bras croisés, dominant le président indonésien assis et humilié (il s’agissait du dictateur Suharto, chassé du pouvoir quelques mois plus tard par un soulèvement populaire, NDR). Celui-ci, impuissant, se voit contraint d’abandonner la souveraineté économique de son pays au FMI en échange de l’aide dont il a besoin. Paradoxalement, une bonne partie de cet argent n’a pas servi, en fin de compte, à aider l’Indonésie mais à tirer d’affaire les “ puissances coloniales ” - les créanciers du secteur privé... Officiellement, la “ cérémonie ” était la signature d’une lettre d’accord - ses termes sont dictés par le FMI mais, par artifice, on fait comme si la “ lettre d’intention ” venait du gouvernement concerné ! ”, in Stiglitz, 2002, p. 71)
    |9| Pour une analyse de l’argument de la force majeure en matière d’annulation de dette, voir l’étude d’Hugo Ruiz Diaz : “ La dette extérieure : mécanismes juridiques de non paiement, moratoire ou suspension de paiement ”, contribution au Premier séminaire international du CADTM sur le Droit international et la Dette, Bruxelles, décembre 2001.
    |10| CDI, Projet d’article 31, A/CN, 4/315, ACDI 1978, II, vol. 1, p. 58
    |11| Dans sa formulation originale : Contractus qui habent tractum successivum et dependetiam de futurum, rebus sic stantibus intelligentur.
    |12| Charles Fenwick, International Law (3e éd. 1948) : de façon similaire, un des textes définitifs sur la common law explique qu’ “une condition tacite, liée à tous les contrats, est que ceux-ci cessent d’être obligatoires dès qu’il se produit des changements substantiels dans l’état des faits et des conditions sur lesquels ils ont été basés”, in Black’s Law Dictionary 1267 (6e éd. 1990). Voir également, en jurisprudence internationale, la sentence arbitrale rendue le 11 novembre 1912 dans l’affaire d’emprunt d’Etat Turquie/Russie dans laquelle il est dit : “ …l’exception de la force majeure …est opposable en droit international ” (Sentence arbitrale, Recueil des Arbitrages internationaux, T. II, 1928, p. 545 et ss.). Par ailleurs, le Code civil d’Argentine stipule que l’obligation d’un débiteur s’éteint “quand la prestation qui forme la matière de celle-ci devient physiquement ou légalement impossible, sans faute du débiteur” (Arts 724 et 888).
    |13| Voir texte intégral de la déclaration finale : http://www.cadtm.org/Conclusions-de.... Pour une argumentation détaillée du point de vue du droit international en faveur de l’acte souverain unilatéral, voir Hugo Ruiz Diaz Balbuena, « La décision souveraine de déclarer la nullité de la dette ou la décision de non paiement de la dette : un droit de l’Etat », http://www.cadtm.org/La-decision-so...

    Vendredi 10 Décembre 2010

    http://www.cadtm.org/Quelques-fondements-juridiques-de http://www.cadtm.org/Quelques-fondements-juridiques-de
    http://www.alterinfo.net/Quelques-fondements-juridiques-de-l-annulation-de-la-dette_a52532.html

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  • Blog de yugsen :HISTOIRE GEO, la puissance des Etats Unis dans le monde.

    http://yugsen.blogspace.fr/128531/la-puissance-des-Etats-Unis-dans-le-monde/

    La fin du "Siècle Américain" La disparition des Etats-Unis en tant que superpuissance mondiale

    La fin du "Siècle Américain"

    La disparition des Etats-Unis en tant que superpuissance mondiale

    Par Alfred W. McCoy
    Asia Times Online, 8 décembre 2010

    article original : "Taking down America"

     

     

    Un atterrissage en douceur pour les Etats-Unis d’ici quarante ans ? N’y pensez pas ! La disparition des Etats-Unis en tant que superpuissance mondiale pourrait survenir bien plus vite que ce que l’on imagine. Si Washington rêve de 2040 ou de 2050 comme date de fin pour le « Siècle Américain », une estimation plus réaliste des tendances aux Etats-Unis et dans le monde laisse penser qu’en 2025, exactement dans 15 ans, tout pourrait être pratiquement terminé.

    Malgré l’aura d’omnipotence que la plupart des empires projètent, un regard sur leur histoire devrait nous rappeler que ce sont des organismes fragiles. L’écologie de leur pouvoir est si délicate que lorsque les choses commencent à aller vraiment mal, les empires se désagrègent généralement à une vitesse incroyable : juste une année pour le Portugal, deux années pour l’Union Soviétique, 8 pour la France, 11 pour les Ottomans, 17 pour la Grande-Bretagne et, selon toute vraisemblance, 22 ans pour les Etats-Unis, à partir de la cruciale année 2003.

    Les futurs historiens identifieront probablement l’invasion irréfléchie de l’Irak par l’administration de George W. Bush, cette année-là, comme le commencement de la chute de l’Amérique. Cependant, à la place du bain de sang qui a marqué la fin de tant d’empires du passé, avec des villes qui brûlent et des civils massacrés, cet effondrement impérial du 21ème siècle pourrait survenir de façon relativement discrète, par les circonvolutions invisibles de l’effondrement économique ou de la guerre cybernétique.

    Mais n’ayez aucun doute : lorsque la domination mondiale de Washington prendra irrémédiablement fin, il y aura des souvenirs quotidiens douloureux de ce qu’une telle perte de pouvoir signifie pour les Américains de tous les milieux. A l’instar de ce qu’une demi-douzaine de nations européennes ont découvert, le déclin impérial tend à avoir un impact remarquablement démoralisant sur une société, apportant ordinairement des privations économiques pendant au moins une génération. Au fur et à mesure que l’économie se refroidit, la température politique monte, déclenchant souvent de sérieux troubles.

    Les données économiques, éducatives et militaires disponibles indiquent, pour ce qui est de la puissance mondiale des Etats-Unis, que les tendances négatives s’accumuleront rapidement d’ici à 2020 et atteindront probablement une masse critique au plus tard en 2030. Le Siècle Américain, proclamé si triomphalement au commencement de la Deuxième Guerre Mondiale, sera réduit à néant et s’éteindra d’ici à 2025, dans sa huitième décennie, et pourrait être relégué définitivement au passé d’ici 2030.

    Fait révélateur, en 2008, la Commission Nationale Américaine des Renseignements [US National Intelligence Council] a admis pour la première fois que la puissance globale des Etats-Unis suivait vraiment une trajectoire déclinante. Dans l’un de ses rapports périodiques sur le futur, Global Trends 2025 [Tendances Mondiales 2025], cette commission a cité « le transfert brutal de la richesse mondiale et de la puissance économique, actuellement en cours, de l’Ouest vers l’Est », et « sans précédent dans l’histoire moderne », comme premier facteur du déclin de la « force relative des Etats-Unis – même dans le domaine militaire ». Toutefois, comme beaucoup à Washington, les analystes de cette commission ont anticipé un atterrissage très en douceur et très long de la prééminence mondiale américaine, et ils ont nourri l’espoir que d’une façon ou d’une autre les Etats-Unis « garderaient longtemps une capacité militaire unique… afin de projeter leur puissance militaire sur le monde » pour les décennies à venir.

    Pas la moindre chance ! Selon les projections actuelles, les Etats-Unis se retrouveront en deuxième position derrière la Chine (déjà deuxième économie mondiale) en terme de production économique, aux alentours de 2026, et derrière l’Inde d’ici à 2050. De même, l’innovation chinoise suit une trajectoire qui conduira la Chine au leadership mondial en science appliquée et en technologie militaire entre 2020 et 2030, juste au moment où les nombreux scientifiques et ingénieurs brillants de l’Amérique actuelle prendront leur retraite, sans pouvoir être adéquatement remplacés à cause d’une nouvelle génération mal instruite.

    D’ici 2020, selon les prévisions actuelles, le Pentagone se lancera dans un va-tout militaire d’un empire mourrant. Il lancera une triple couverture spatiale létale, constituée de robotique avancée et qui représente le dernier meilleur espoir de Washington de maintenir son statut de puissance mondiale, malgré son influence économique déclinante. Toutefois, dès cette année-là, le réseau mondial de satellites de communication de la Chine, soutenu par les super-ordinateurs les plus puissants du monde, sera également entièrement opérationnel, procurant à Pékin une plate-forme indépendante pour la militarisation de l’espace et un puissant système de communication pour ses missiles – ou attaques cybernétiques – dans tous les endroits de la planète.

    Enveloppée dans sa prétention démesurée impériale, comme Whitehall ou le Quai d’Orsay avant elle, la Maison Blanche semble toujours imaginer que le déclin américain sera progressif, modéré et partiel. Dans son Adresse à l’Union en janvier dernier, le Président Barack Obama a donné la garantie qu’il « n’accepte pas la deuxième place pour les Etats-Unis d’Amérique ». Quelques jours plus tard, le Vice-président Joseph Biden, a tourné en dérision l’idée même que « nous sommes destinés à réaliser la prophétie de [l’historien Paul] Kennedy, selon laquelle nous serons une grande nation qui aura échoué parce que nous avons perdu le contrôle de notre économie et que nous nous sommes trop agrandis ». De la même manière, Joseph Nye, le gourou néolibéral en politique étrangère, s’exprimant dans le numéro de novembre du journal institutionnel Foreign Affairs, a balayé toute idée d’essor économique et militaire de la Chine, rejetant « les métaphores trompeuses de déclin organique » et niant qu’une détérioration de la puissance globale des Etats-Unis était en cours.

    Les Américains ordinaires, voyant leurs emplois se délocaliser à l’étranger, ont une vision plus réaliste que leurs dirigeants qui, eux, sont bien protégés. Un sondage d’opinion d’août 2010 a mis en évidence que 65% des Américains pensaient que leur pays était désormais « en état de déclin ». Déjà, l’Australie et la Turquie, des alliés militaires traditionnels des Etats-Unis, utilisent leurs armes fabriquées en Amérique pour des manœuvres aériennes et navales conjointes avec la Chine. Déjà, les partenaires économiques les plus proches des Etats-Unis s’éloignent de la position de Washington et se tournent vers la devise chinoise, dont les taux sont manipulés. Alors que le président [Obama] revenait d’Asie le mois dernier, un gros titre sinistre du New York Times résumait ainsi le moment fort de son voyage : « Sur La Scène Mondiale, La Vision Economique d’Obama Est Rejetée, La Chine, La Grande-Bretagne Et L’Allemagne Contestent Les USA, Les Pourparlers Commerciaux Avec Séoul Ont Egalement Echoué ».

    D’un point de vue historique, la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis perdront leur puissance globale incontestée, mais juste à quelle vitesse et avec quelle brutalité se produira leur déclin. A la place des désirs irréalistes de Washington, prenons la propre méthodologie du National Intelligence Council pour décrypter l’avenir, afin de suggérer quatre scénarios réalistes (accompagnés de quatre évaluations associées de leur situation actuelle) sur la manière, que ce soit avec fracas ou dans un murmure, dont la puissance globale des Etats-Unis pourrait toucher à sa fin dans les années 2020. Ces scénarios futuristes comprennent : le déclin économique, le choc pétrolier, la mésaventure militaire et la Troisième Guerre Mondiale. Même si ces scénarios sont loin d’être les seules possibilités en matière de déclin – voire même d’effondrement – américain, ils offrent une fenêtre sur un futur qui arrive au pas de charge.


    Le déclin économique

    la situation actuelle

    Aujourd’hui, trois menaces principales existent vis-à-vis de la position dominante des Etats-Unis dans l’économie mondiale : la perte de l’influence économique grâce à une part du commerce mondial qui se rétrécit, le déclin de l’innovation technologique américaine et la fin du statut privilégié du dollar en tant que devise de réserve mondiale.

    Dès 2008, les Etats-Unis sont déjà tombés au troisième rang mondial pour les exportations, avec 11% des exportations mondiales, comparés à 12% pour la Chine et 16% pour l’Union Européenne. Il n’y a aucune raison de croire que cette tendance va s’inverser.

    De la même façon, le leadership américain dans l’innovation technologique est sur le déclin. En 2008, les Etats-Unis étaient encore numéro deux derrière le Japon en matière de dépôts de brevets, avec 232.000, mais la Chine se rapprochait très vite avec 195.000 brevets, grâce à une augmentation foudroyante de 400% depuis l’an 2000. Un signe annonciateur d’un déclin supplémentaire : en 2009, les Etats-Unis sont tombés au plus bas, au cours de la décennie précédente, parmi les 40 pays étudiés par la Fondation pour l’Innovation et l’Information Technologique, en termes de « changement » dans la « compétitivité mondiale en matière d’innovation ». Ajoutant du corps à ces statistiques, en octobre dernier, le Ministère de la Défense chinois a dévoilé le super-ordinateur le plus rapide du monde, le Tianhe-1 A, si puissant, selon un expert américain, qu’il « fait voler en éclat les performances de l’actuelle machine n°1 » aux Etats-Unis.

    Ajoutez à cette preuve limpide que le système éducatif américain, qui constitue la source des futurs scientifiques et innovateurs, est passé derrière ses concurrents. Après avoir été à la tête du monde pendant des décennies sur la tranche d’âge des 25-34 ans possédant un diplôme universitaire, ce pays a sombré à la douzième place en 2010. Le Forum Economique Mondial, la même année, a classé les Etats-Unis à une médiocre 52ème place sur 139 pays, en ce qui concerne la qualité de ses universités de mathématiques et d’instruction scientifique. Près de la moitié de tous les diplômés en sciences aux Etats-Unis sont désormais des étrangers, dont la plupart rentreront chez eux, et ne resteront pas aux Etats-Unis comme cela se passait autrefois. Autrement dit, d’ici 2025, les Etats-Unis se retrouveront probablement face à une pénurie de scientifiques de talent.

    De telles tendances négatives encouragent la critique acerbe croissante sur le rôle du dollar en tant que devise de réserve mondiale. « Les autres pays ne veulent plus adhérer à l’idée que les Etats-Unis savent mieux que les autres en matière de politique économique », a observé Kenneth S. Rogoff, ancien chef économiste au FMI. A la mi-2009, avec les banques centrales qui détenaient un montant astronomique de 4.000 milliards de dollars en bons du trésor américain, le Président russe Dimitri Medvedev a insisté sur le fait qu’il était temps de mettre fin au « système unipolaire artificiellement maintenu » et basé sur « une devise de réserve qui avait été forte dans le passé ».

    Simultanément, le gouverneur de la banque centrale chinoise a laissé entendre que l’avenir pourrait reposer sur une devise de réserve mondiale « déconnectée des nations individuelles » (c’est-à-dire, le dollar américain). Prenez tout ceci comme des indications du monde à venir et comme une tentative possible, ainsi que l’a soutenu l’économiste Michael Hudson, « d’accélérer la banqueroute de l’ordre mondial militaro-financier des Etats-Unis ».

    Un scénario pour 2020

    Après des années de déficits croissants, nourris par des guerres incessantes dans des pays lointains, en 2020, comme l’on s’y attend depuis longtemps, le dollar américain perd finalement son statut spécial de devise de réserve mondiale. Soudain, le coût des importations monte en flèche. Incapable de payer des déficits allant crescendo en vendant des bons du Trésor à présent dévalués, Washington est finalement obligé de réduire considérablement son budget militaire boursouflé. Sous la pression de ses citoyens et de l’étranger, Washington retire les forces américaines de centaines de bases à l’étranger qui se replient sur un périmètre continental. Cependant, il est désormais bien trop tard.

    Face à une superpuissance qui s’éteint et qui est incapable de payer ses factures, la Chine, l’Inde, l’Iran, la Russie et d’autres puissances, grandes ou régionales, défient et provoquent la domination des Etats-Unis sur les océans, dans l’espace et le cyberespace. Pendant ce temps, en pleine inflation, avec un chômage qui croit sans cesse et une baisse continue des salaires réels, les divisions intérieures s’étendent en violents clashs et en débats diviseurs, souvent sur des questions remarquablement hors sujet. Surfant sur une vague politique de désillusion et de désespoir, un patriote d’extrême-droite capture la présidence avec une rhétorique assourdissante, exigeant le respect de l’autorité américaine et proférant des menaces de représailles militaires ou économiques. Le monde ne prête quasiment pas attention alors que le Siècle Américain se termine en silence.


    Le choc pétrolier

    La situation actuelle

    Une victime collatérale de la puissance économique déclinante de l’Amérique a été son verrouillage des approvisionnements en pétrole. Accélérant et dépassant l’économie américaine gourmande en pétrole, la Chine est devenue cet été le premier consommateur mondial d’énergie, une position détenue par les Etats-Unis depuis plus d’un siècle. Le spécialiste [américain] de l’énergie Michael Klare a exposé que ce changement signifie que la Chine « donnera le rythme pour façonner notre avenir mondial ».

    D’ici 2025, la Russie et l’Iran contrôleront près de la moitié des réserves mondiales de gaz naturel, ce qui leur octroiera potentiellement un énorme effet de levier sur une Europe affamée d’énergie. Ajoutez les réserves pétrolières à ce mélange, ainsi que le National Intelligence Council a prévenu, et dans juste 15 ans, deux pays, la Russie et l’Iran, pourraient « émerger comme les chevilles ouvrières de l'énergie ».

    Malgré leur ingéniosité remarquable, les principales puissances pétrolières vident actuellement les grands bassins de réserves pétrolières qui s’avèrent être des extractions faciles et bon marché. La véritable leçon du désastre pétrolier de « Deepwater Horizon » dans le Golfe du Mexique n’était pas les normes de sécurité laxistes de BP, mais le simple fait que tout le monde ne voyait que le « spectacle de la marée noire » : l’un des géants de l’énergie n’avait pas beaucoup d’autre choix que de chercher ce que Klare appelle du « pétrole coriace », à des kilomètres sous la surface de l’océan, pour maintenir la croissance de ses profits.

    Aggravant le problème, les Chinois et les Indiens sont soudainement devenus des consommateurs d’énergie beaucoup plus gourmands. Même si les approvisionnements en pétrole devaient rester constants (ce qui ne sera pas le cas), la demande, et donc les coûts, est quasiment assurée de monter – et, qui plus est, brutalement. D’autres pays développés répondent agressivement à cette menace en se plongeant dans des programmes expérimentaux pour développer des sources énergétiques alternatives. Les Etats-Unis ont pris une voie différente, faisant bien trop peu pour développer des sources énergétiques alternatives, tandis qu’au cours des dix dernières années, ils ont doublé leur dépendance sur les importations du pétrole provenant de l’étranger. Entre 1973 et 2007, les importations de pétrole [aux Etats-Unis] sont passées de 36% de toute l’énergie consommée aux Etats-Unis à 66%.

    Un scénario pour 2025

    Les Etats-Unis sont restés si dépendants du pétrole étranger que quelques événements défavorables sur le marché mondial de l’énergie déclenchent en 2025 un choc pétrolier. En comparaison, le choc pétrolier de 1973 (lorsque les prix ont quadruplé en quelques mois) ressemble à un avatar. En colère face à la valeur du dollar qui s’envole, les ministres du pétrole de l’OPEP, se réunissant en Arabie Saoudite, exigent les futurs paiements énergétiques dans un « panier de devises », constitué de yen, de yuan et d’euro. Cela ne fait qu’augmenter un peu plus le coût des importations pétrolières américaines. En même temps, tandis qu’ils signent une nouvelle série de contrats de livraison à long-terme avec la Chine, les Saoudiens stabilisent leurs propres réserves de devises en passant au yuan. Pendant ce temps, la Chine déverse d’innombrables milliards pour construire un énorme pipeline à travers l’Asie et finance l’exploitation par l’Iran du plus grand champ gazier au monde, à South Pars, dans le Golfe Persique.

    Inquiets que l’US Navy pourrait ne plus être en mesure de protéger les bateaux-citernes naviguant depuis le Golfe Persique pour alimenter l’Asie Orientale, une coalition entre Téhéran, Riyad et Abu-Dhabi forme une nouvelle alliance inattendue du Golfe et décrète que la nouvelle flotte chinoise de porte-avions rapides patrouillera dorénavant dans le Golfe Persique, depuis une base dans le Golfe d’Oman. Sous de fortes pressions économiques, Londres accepte d’annuler le bail des Américains sur la base de Diego Garcia, située sur son île de l’Océan Indien, tandis que Canberra, contrainte par les Chinois, informe Washington que sa Septième Flotte n’est plus la bienvenue à Fremantle, son port d’attache, évinçant de fait l’US Navy de l’Océan Indien.

    En quelques traits de plume et quelques annonces laconiques, la « Doctrine Carter », selon laquelle la puissance militaire étasunienne devait éternellement protéger le Golfe Persique, est enterrée en 2025. Tous les éléments qui ont assuré pendant longtemps aux Etats-Unis des approvisionnements illimités en pétrole bon marché depuis cette région – logistique, taux de change et puissance navale – se sont évaporés. A ce stade, les Etats-Unis ne peuvent encore couvrir que 12% de leurs besoins énergétiques par leur industrie d’énergie alternative naissante, et ils restent dépendants du pétrole importé pour la moitié de leur consommation d'énergie.

    Le choc pétrolier qui s’ensuit frappe le pays comme un ouragan, envoyant les prix vers de nouveaux sommets, rendant les voyages une option incroyablement coûteuse, provoquant la chute-libre des salaires réels (depuis longtemps en déclin) et rendant non-compétitif ce qui reste des exportations américaines. Avec des thermostats qui chutent, le prix des carburants qui bat tous les records et les dollars qui coulent à flot vers l’étranger en échange d’un pétrole coûteux, l’économie américaine est paralysée. Avec des alliances en bout de course qui s’effilochent depuis longtemps et des pressions fiscales croissantes, les forces militaires américaines commencent finalement un retrait graduel de leurs bases à l’étranger.

    En quelques années, les Etats-Unis sont fonctionnellement en faillite et le compte à rebours à commencé vers le crépuscule du Siècle Américain.


    La mésaventure militaire

    La situation actuelle

    Contrairement à l’intuition, tandis que leur puissance s’éteint, les empires plongent souvent dans des mésaventures militaires inconsidérées. Ce phénomène, connu des historiens spécialistes des empires sous le nom de « micro-militarisme », semble impliquer des efforts de compensation psychologique pour soulager la douleur de la retraite ou de la défaite en occupant de nouveaux territoires, pourtant de façon brève et catastrophique. Ces opérations, irrationnelles même d’un point de vue impérial, produisent souvent une hémorragie de dépenses ou de défaites humiliantes qui ne font qu’accélérer la perte de puissance.

    A travers les âges, les empires assaillis souffrent d’une arrogance qui les conduit à plonger encore plus profond dans les mésaventures militaires, jusqu’à ce que la défaite devienne une débâcle. En 413 av. J.-C., Athènes, affaiblie, envoya 200 vaisseaux se faire massacrer en Sicile. En 1921, l’Espagne impériale mourante envoya 20.000 soldats se faire massacrer par les guérillas berbères au Maroc. En 1956, l’empire britannique déclinant détruisit son prestige en attaquant Suez. Et, en 2001 et en 2003, les Etats-Unis ont occupé l’Afghanistan et envahi l’Irak. Avec la prétention démesurée qui marque les empires au fil des millénaires, Washington a augmenté à 100.000 le nombre de ses soldats en Afghanistan, étendu la guerre au Pakistan et étendu son engagement jusqu’en 2014 et plus, recherchant les désastres, petits et grands, dans ce cimetière nucléarisé des empires, infesté par les guérillas.

    Un scénario pour 2014

    Le « micro-militarisme » est si irrationnel et imprévisible que les scénarios en apparence fantaisistes sont vite surpassés par les évènements réels. Avec l’armée américaine étirée et clairsemée de la Somalie aux Philippines et les tensions qui montent en Israël, en Iran et en Corée, les combinaisons possibles pour une crise militaire désastreuse sont multiformes.

    Nous sommes au milieu de l’été 2014 au sud de l’Afghanistan et une garnison américaine réduite, dans Kandahar assailli, est soudainement et de façon inattendue prise d’assaut par les guérillas Taliban, tandis que les avions américains sont cloués au sol par une tempête de sable aveuglante. De lourdes pertes sont encaissées et, en représailles, un commandant militaire américain embarrassé lâche ses bombardiers B-1 et ses avions de combat F-16 pour démolir tout un quartier de la ville que l’on pense être sous contrôle Taliban, tandis que des hélicoptères de combat AC-130 U « Spooky » ratissent les décombres avec des tirs dévastateurs.

    Très vite, les Mollahs prêchent le djihad dans toutes les mosquées de la région, et les unités de l’armée afghane, entraînées depuis longtemps par les forces américaines pour renverser le cours de la guerre, commencent à déserter massivement. Les combattants Talibans lancent alors dans tout le pays une série de frappes remarquablement sophistiquées sur les garnisons américaines, faisant monter en flèche les pertes américaines. Dans des scènes qui rappellent Saigon en 1975, les hélicoptères américains portent secours aux soldats et aux civils américains depuis les toits de Kaboul et de Kandahar.

    Pendant ce temps, en colère contre l’impasse interminable qui dure depuis des dizaines d’années à propos de la Palestine, les dirigeants de l’OPEP imposent un nouvel embargo pétrolier contre les Etats-Unis pour protester contre leur soutien à Israël, ainsi que contre le massacre d’un nombre considérable de civils musulmans dans leur guerre en cours dans tout le Grand Moyen-Orient. Avec le prix des carburants qui monte en flèche et ses raffineries qui s’assèchent, Washington prend ses dispositions en envoyant les forces des Opérations Spéciales saisir les ports pétroliers du Golfe Persique. En retour, cela déclenche un emballement des attaques-suicides et le sabotage des pipelines et des puits de pétrole. Tandis que des nuages noirs s’élèvent en tourbillons vers le ciel et que les diplomates se soulèvent à l’ONU pour dénoncer catégoriquement les actions américaines, les commentateurs dans le monde entier remontent dans l’histoire pour appeler cela le « Suez de l’Amérique », une référence éloquente à la débâcle de 1956 qui a marqué la fin de l’Empire Britannique.


    La Troisième Guerre Mondiale

    La situation actuelle

    Au cours de l’été 2010, les tensions militaires entre les Etats-Unis et la Chine ont commencé à croître dans le Pacifique occidental, considéré autrefois comme un « lac » américain. Même un an plus tôt, personne n’aurait prédit un tel développement. De la même manière que Washington a exploité son alliance avec Londres pour s’approprier une grande part de la puissance mondiale de la Grande-Bretagne après la Deuxième Guerre Mondiale, la Chine utilise à présent les profits générés par ses exportations avec les Etats-Unis pour financer ce qui risque probablement de devenir un défi militaire à la domination américaine sur les voies navigables de l’Asie et du Pacifique.

    Avec ses ressources croissantes, Pékin revendique un vaste arc maritime, de la Corée à l’Indonésie, dominé pendant longtemps par l’US Navy. En août, après que Washington eut exprimé un « intérêt national » dans la Mer de Chine méridionale et conduit des exercices navals pour renforcer cette revendication, le Global Times, organe officiel de Pékin, a répondu avec colère, en disant : « Le match de lutte entre les Etats-Unis et la Chine sur la question de la Mer de Chine méridionale a fait monter les enchères pour décider quel sera le futur dirigeant de la planète. »

    Au milieu des tensions croissantes, le Pentagone a rapporté que Pékin détient à présent « la capacité d’attaquer… les porte-avions [américains] dans l’Océan Pacifique occidental » et de diriger « des forces nucléaires vers l’ensemble… des Etats-Unis continentaux. » En développant « des capacités offensives nucléaires, spatiales et de guerre cybernétique », la Chine semble déterminée à rivaliser pour la domination de ce que le pentagone appelle « le spectre d’information dans toutes les dimensions de l’espace de combat moderne ». Avec le développement en cours de la puissante fusée d’appoint Long March V, de même que le lancement de deux satellites en janvier 2010 et d’un autre en juillet dernier, pour un total de cinq [déjà mis sur orbite], Pékin a lancé le signal que le pays faisait des progrès rapides en direction d’un réseau « indépendant » de 35 satellites pour le positionnement, les communications et les capacités de reconnaissance mondiales, qui verra le jour d’ici 2020.

    Pour contrôler la Chine et étendre mondialement sa position militaire, Washington a l’intention de construire un nouveau réseau numérique de robotique aérienne et spatiale, de capacités avancées de guerre cybernétique et de surveillance électronique. Les planificateurs militaires espèrent que ce système enveloppera la Terre dans un quadrillage cybernétique capable de rendre aveugles des armées entières sur le champ de bataille ou d’isoler un simple terroriste dans un champ ou une favela. D’ici 2020, si tout fonctionne selon son plan, le Pentagone lancera un bouclier à trois niveaux de drones spatiaux – pouvant atteindre l’exosphère depuis la stratosphère, armés de missiles agiles, reliés par un système modulaire de satellites élastique et opérant au moyen d’une surveillance totale par télescope.

    En avril dernier, le Pentagone est entré dans l’histoire. Il a étendu les opérations de drones à l’exosphère en lançant discrètement la navette spatiale non habitée X-37 B, la plaçant en orbite basse au-dessus de la planète. Le X-37 B est le premier d’une nouvelle génération de véhicules non-habités qui marqueront la militarisation complète de l’espace, créant une arène pour les futures guerres, contrairement à tout ce qui a été fait auparavant.

    Un scénario pour 2025

    La technologie de la guerre spatiale et cybernétique est tellement nouvelle et non-testée que même les scénarios les plus bizarres pourraient bientôt être dépassés par une réalité encore difficile à concevoir. Toutefois, si nous employons simplement le type de scénarios que l’US Air Force a elle-même utilisés dans son 2009 Future Capabilities Game, nous pouvons obtenir « une meilleure compréhension sur la manière dont l’air, l’espace et le cyberespace coïncident dans l’art de la guerre » ; et, commencez alors à imaginer comment la prochaine guerre mondiale pourrait réellement être livrée !

    Il est 23h59 en ce jeudi de Thanksgiving 2025. Tandis que les foules se pressent dans les cyberboutiques et qu’elles martèlent les portails de Best Buy pour des gros discounts sur les derniers appareils électroniques domestiques provenant de Chine, les techniciens de l’US Air Force, au Télescope Spatial de Surveillance de Maui [Hawaï], toussent sur leur café tandis que leurs écrans panoramiques deviennent soudainement noirs. A des milliers de kilomètres, au centre de commandement cybernétique au Texas, les combattants cybernétiques détectent rapidement des codes binaires malicieux qui, bien que lancés de façon anonyme, montrent l’empreinte numérique distincte de l’Armée de Libération Populaire de Chine.

    Cette première attaque ouverte n’avait été prévue par personne. Le « programme malicieux » prend le contrôle de la robotique à bord d’un drone américain à propulsion solaire, le « Vulture », alors qu’il vole à 70.000 pieds au-dessus du Détroit de Tsushima, entre la Corée et le Japon. Il tire soudain tous les modules de fusées qui se trouvent en dessous de son envergure gigantesque de 135 mètres, envoyant des douzaines de missiles létaux plonger de façon inoffensive dans la Mer Jaune, désarmant ainsi efficacement cette arme terrible.

    Déterminé à répondre coup pour coup, la Maison Blanche autorise une frappe de rétorsion. Confiant que son système de satellites F-6, « fractionné et en vol libre » est impénétrable, les commandants de l’Air Force en Californie transmettent les codes robotiques à la flottille de drones spatiaux X-37 B qui orbitent à 450 kilomètres au-dessus de la Terre, leur ordonnant de lancer leurs missiles « triple terminator » sur les 35 satellites chinois. Aucune réponse. Proche de la panique, l’US Air Force lance son véhicule de croisière hypersonique Falcon dans un arc de 160 kilomètres au-dessus de l’Océan Pacifique et ensuite, juste 20 minutes plus tard, envoie les codes informatiques pour tirer les missiles contre sept satellites chinois en orbite basse. Les codes de lancement sont soudainement inopérants.

    Au fur et à mesure que le virus chinois se répand irrésistiblement à travers l’architecture des satellites F-6 et que ces super-ordinateurs américains de deuxième classe ne parviennent pas à cracker le code diablement complexe du programme malicieux, les signaux GPS, cruciaux pour la navigation des navires et des avions américains dans le monde entier, sont compromis. Les flottes de porte-avions commencent à tourner en rond au milieu du Pacifique. Des escadrons d’avions de combat sont cloués au sol. Les drones moissonneurs volent sans but vers l’horizon, se crashant lorsque leur carburant est épuisé. Soudain, les Etats-Unis perdent ce que l’US Air Force a longtemps appelé « le terrain élevé de combat ultime » : l’espace. En quelques heures, la puissance mondiale qui a dominé la planète pendant près d’un siècle a été vaincue dans la Troisième Guerre Mondiale sans causer la moindre victime humaine.


    Un nouvel ordre mondial ?

    Même si les événements futurs s’avèrent plus ternes que ce que suggèrent ces quatre scénarios, toutes les tendances importantes pointent vers un déclin beaucoup plus saisissant de la puissance américaine d’ici 2025 que tout ce que Washington semble maintenant envisager.

    Alors que les alliés [des Etats-Unis] dans le monde entier commencent à réaligner leurs politiques pour rencontrer les puissances asiatiques montantes, le coût de maintien des 800 bases militaires ou plus à l’étranger deviendra tout simplement insoutenable, forçant finalement Washington à se retirer graduellement à contre-cœur. Avec la Chine et les Etats-Unis qui se trouvent dans une course à la militarisation de l’espace et du cyberespace, les tensions entre les deux puissances vont sûrement monter, rendant un conflit militaire d’ici 2025 au moins plausible, voire quasiment garanti.

    Pour compliquer un peu plus les choses, les tendances économiques, militaires et technologiques exposées brièvement ci-dessus n’agiront pas de manière clairement isolée. Comme cela s’est produit pour les empires européens après la Deuxième Guerre Mondiale, de telles forces négatives se révèleront sans aucun doute synergiques. Elles se combineront de façon complètement inattendue, créeront des crises pour lesquelles les Américains ne sont absolument pas préparés et menaceront d’envoyer l’économie dans une spirale descendante soudaine, reléguant ce pays dans la misère économique, pendant une génération ou plus.

    Tandis que la puissance américaine s’estompe, le passé offre un éventail de possibilités pour un futur ordre mondial. A un bout de ce spectre, la montée d’une nouvelle superpuissance mondiale, même si elle est improbable, ne peut pas être écartée. Toutefois, la Chine et la Russie manifestent toutes deux des cultures autoréférentielles, des écritures abstruses non-romaines, des stratégies de défense régionales et des systèmes légaux sous-développés, leur contestant les instruments clés pour la domination mondiale. Alors, dans ce cas, aucune superpuissance de semble pouvoir succéder aux Etats-Unis.

    Dans une version noire contre-utopique de notre futur mondial, il est concevable qu’une coalition d’entreprises transnationales, de forces multilatérales comme l’OTAN et d’une élite financière internationale puisse élaborer un réseau supranational instable qui ne donnerait plus aucun sens à l’idée même d’empires nationaux. Tandis que des entreprises dénationalisées et des élites multinationales dirigeraient de façon usurpée un tel monde depuis des enclaves urbaines sécurisées, les multitudes seraient reléguées dans des terres, rurales ou urbaines, laissées à l’abandon.

    Dans Planet of Slums [planète bidonvilles], Mike Davis offre au moins une vision partielle du bas vers le haut d’un tel monde. Son argument est que le milliard de personnes (deux milliards d’ici 2030) déjà entassées dans des bidonvilles fétides de type favelas autour du monde, feront « les villes sauvages et en faillite du Tiers Monde […] l’espace de combat caractéristique du 21ème siècle ». Alors que l’obscurité s’installe sur quelques super-favelas futures, « l’empire peut déployer des technologies orwelliennes de répression », tandis que « les hélicoptères de combats de type hornet chassent des ennemis énigmatiques dans les rues étroites des bas-quartiers… Tous les matins, les bidonvilles répliquent par des attentats-suicides et des explosions éloquentes ».

    Au milieu de ce spectre de futurs possibles, un nouvel oligopole pourrait émerger entre 2020 et 2040, avec les puissances montantes chinoise, russe, indienne et brésilienne collaborant avec des puissances en déclin comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon et les Etats-Unis, en vue d’imposer une domination globale ad hoc, semblable à l’alliance approximative des empires européens qui ont dirigé la moitié de l’humanité aux alentours de 1900.

    Une autre possibilité : la montée d’hégémons régionaux dans un retour à quelque chose rappelant le système international en œuvre avant que les empires modernes ne se forment. Dans cet ordre mondial néo-westphalien, avec ses perspectives sans fin de micro-violence et d’exploitation incontrôlée, chaque hégémon dominerait sa région immédiate – le Brésil en Amérique du Sud, Washington en Amérique du Nord, Pretoria en Afrique méridionale, etc. L’espace, le cyberespace et les profondeurs maritimes, retirés du contrôle de l’ancien « gendarme » planétaire, les Etats-Unis, pourraient même devenir des nouvelles parties communes mondiales, contrôlées au moyen d’un Conseil de Sécurité onusien élargi ou d’une autre institution ad hoc.

    Tous ces scénarios extrapolent des tendances futuristes existantes, sur la supposition que les Américains, aveuglés par l’arrogance de décennies de puissance sans précédent historique, ne peuvent pas prendre ou ne prendront pas les mesures pour gérer l’érosion incontrôlée de leur position mondiale.

    Si le déclin de l’Amérique suit en fait une trajectoire de 22 années entre 2003 et 2025, alors les Américains ont déjà gaspillé la plus grande partie de la première décade de ce déclin avec des guerres qui les ont détournés des problèmes à long-terme et, de la même manière que l’eau est bue rapidement par les sables du désert, des trillions de dollars terriblement nécessaires gaspillés.

    S’il reste seulement 15 ans, les risques de les gaspiller tous reste toujours élevé. Le Congrès et le président [des Etats-Unis] sont à présent dans une impasse ; le système américain est submergé par l’argent des grandes entreprises qui bloquent les usines ; et peu de choses laissent penser que toute question d’importance, y compris les guerres américaines, l’Etat national sécuritaire bouffi de l’Amérique, son système éducatif démuni et ses approvisionnements énergétiques archaïques, sera traitée avec assez de sérieux pour assurer la sorte d’atterrissage en douceur qui pourrait maximiser le rôle et la prospérité des Etats-Unis dans un monde en changement.

    Les empires d’Europe sont révolus et le pouvoir suprême des Etats-Unis se poursuit. Il semble de plus en plus improbable que les Etats-Unis obtiendront quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la réussite de la Grande-Bretagne, pour façonner un ordre mondial réussi qui protège leurs intérêts, préserve leur prospérité et porte la marque de leurs meilleures valeurs.

    Alfred W McCoy est professeur d’histoire à l’Université de Wisconsin-Madison. Auteur régulier pour TomDispatch, il préside également le projet “Empires in transition”, un groupe de travail mondial de 140 historiens, provenant d’universités issues de quatre continents.

    (Copyright 2010 Alfred W McCoy - traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved


    http://questionscritiques.free.fr/edito/AsiaTimesOnline/Alfred_McCoy_Etats-Unis_declin_siecle_americain_071210.htm



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    9 décembre 2010
    conférence de juin 2010
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    Noam CHOMSKY

    1. L’empire des États-Unis, le Moyen-Orient et le monde

    Il est tentant de reprendre depuis le début. Le début c’était il y a bien longtemps, mais il est utile de revoir certains points d’histoire qui pourront être comparés à la politique actuelle des États-Unis au Moyen-Orient. Les États-Unis sont un pays très particulier par bien des aspects. Ils sont probablement le seul pays au monde qui soit né empire. C’était un empire enfant – comme George Washington l’a appelé –, et les Pères fondateurs étaient très ambitieux. Le plus libéral d’entre eux, Thomas Jefferson, pensait que l’empire enfant devait s’étendre davantage et devenir le « nid » à partir duquel le continent entier serait colonisé. Cela signifiait se débarrasser des « rouges », les Indiens, lesquels ont effectivement été déplacés ou exterminés. Les Noirs devaient être renvoyés en Afrique dès qu’on n’aurait plus besoin d’eux et les Latins seraient éliminés par une race supérieure.

     

    La conquête du territoire national

    Les États-Unis ont été un pays très raciste pendant toute leur histoire, et pas seulement à l’encontre des Noirs. Les idées de Jefferson étaient assez communes, les autres étaient globalement d’accord avec lui. C’est une société de colons. Le colonialisme de peuplement c’est ce qu’il y a de pire comme impérialisme, le genre le plus sauvage parce qu’il requiert l’élimination de la population indigène. Ce n’est pas sans relation, je crois, avec le soutien automatique des États-Unis à Israël, qui est aussi une société coloniale. La politique d’Israël d’une certaine façon fait écho à l’histoire états-unienne, en est une réplique. Et, il y a plus, les premiers colons aux États-Unis étaient des fondamentalistes religieux qui se considéraient être des enfants d’Israël répondant au commandement divin de peupler la terre et de massacrer les Amalécites, etc. C’est tout près d’ici, les premiers colons, au Massachusetts.

    Tout cela était fait avec les meilleures intentions. Ainsi, par exemple, le Massachusetts (le Mayflower et toute cette histoire) à reçu sa Charte de la part du roi d’Angleterre en 1629. La Charte chargeait les colons de sauver les populations locales des affres du paganisme. D’ailleurs si vous regardez le sceau de la Bay Colony du Massachusetts vous voyez un Indien qui tient une flèche pointée vers le bas en signe de paix. Et devant se bouche il est écrit « Come over and help us » [« Venez et aidez-nous »]. C’est l’un des premiers exemples de ce qu’on appelle aujourd’hui l’interventionnisme humanitaire. Et ce n’est qu’un exemple, il y a bien d’autres cas au cours de l’histoire, et cela dure jusqu’à nos jours. Les Indiens demandaient aux colons de venir et de les aider et les colons suivaient gentiment le commandement leur demandant de venir et de les aider. En fait nous les aidions en les exterminant.

    Après coup on a trouvé ça bizarre. Dans les années 1820, un membre de la Cour suprême a écrit à ce propos. Il dit qu’il est assez étrange que, malgré toute notre bienveillance et notre amour pour les Indiens, ils dépérissent et disparaissent comme les « feuilles d’automne ». Comment était-ce possible ? Il a fini par en conclure que la volonté divine est « au-delà de la compréhension humaine ». C’est simplement la volonté de Dieu. Nous ne pouvons pas espérer comprendre. Cette conception – appelée le providentialisme – selon laquelle nous suivons toujours la volonté de Dieu existe encore aujourd’hui. Quoi que nous fassions nous suivons la volonté de Dieu. C’est un pays extrêmement religieux, unique en son genre en matière de religiosité. Une grande partie de la population – je ne me souviens plus du chiffre, mais il est assez élevé – croit littéralement ce qui est écrit dans la Bible. Le soutien total à Israël est l’une des conséquences de tout cela, parce que Dieu a promis la terre promise à Israël. Donc nous devons les soutenir.

    Les mêmes personnes – une part importante des plus importants défenseurs d’Israël – sont des anti-sémites, parmi les plus extémistes du monde. À côté d’eux Hitler semble assez modéré. Leur perspective est l’élimination des Juifs après Armageddon. Il y a tout un tas d’histoires à ce propos, lesquelles sont crues, littéralement, jusqu’à un très haut niveau – probablement des gens comme Reagan, George W. Bush, et d’autres. Cela n’est pas sans lien avec l’histoire colonialiste du sionisme chrétien – il précède le sionisme juif, et il est beaucoup plus puissant. C’est l’une des raisons qui expliquent le soutien automatique et inconditionnel à Israël.

    La conquête du territoire national est une histoire assez laide. Certaines des personnes les plus honnêtes l’ont reconnu, comme John Quincy Adams, qui était l’un des grands stratèges de l’expansionnisme – le théoricien de la Destinée manifeste, etc. À la fin de sa vie, longtemps après ses propres crimes, il se lamentait sur le sort de ceux qu’il appelait « la malheureuse race des indigènes américains, que nous exterminons sans pitié et avec une perfide cruauté ». Il a dit que ce serait l’un des péchés pour lesquels le Seigneur allait nous punir. Nous attendons encore.

    Ses idées sont jusqu’à nos jours tenues en haute considération. Il y a un livre de référence, universitaire, écrit par John Lewis Gaddis, un grand historien états-unien, qui concerne les racines de la doctrine Bush. Gaddis, avec raison, présente la doctrine Bush comme héritière de la grande stratégie de John Quincy Adams. Il dit que c’est un concept qui existe tout au long de l’histoire des États-Unis. Il en fait l’éloge, il considère que c’est la conception correcte – nous devons assurer notre sécurité, l’expansion est le moyen de la sécurité, et vous ne pouvez pas vraiment assurer votre sécurité sans tout contrôler. Donc nous devons nous déployer, non seulement dans l’hémisphère, mais partout dans le monde. C’est la doctrine Bush.

    Au moment de la Deuxième Guerre mondiale, sans entrer dans les détails… Bien que les États-Unis aient été depuis longtemps et de loin le pays le plus riche du monde, ils jouaient un rôle secondaire sur la scène mondiale. L’acteur principal c’était la Grande-Bretagne – et y compris la France avait une plus grande présence dans le monde. La Deuxième Guerre mondiale a changé tout cela. Les stratèges états-uniens durant la Deuxième Guerre mondiale, les planificateurs de Roosevelt, ont dès le début de la guerre très bien compris qu’au bout du compte les États-Unis allaient se retrouver dans une position de supériorité absolue.

    Alors que la guerre se déroulait – les Russes terrassaient les Allemands, ils ont à ce moment presque gagné la guerre en Europe – on avait compris que les États-Unis seraient dans une position de domination encore plus nette. Et ils ont donc élaboré des plans pour la configuration du monde de l’après-guerre. Les États-Unis auraient le contrôle total d’une zone qui comprendrait l’hémisphère occidental, l’Extrême-Orient, l’ex-Empire britannique, la plus grande partie possible de l’Eurasie, incluant donc l’Europe occidentale et son importante infrastructure commerciale et industrielle. C’est le minimum. Le maximum c’est le monde entier ; et bien entendu c’est ce dont nous avons besoin pour notre sécurité. Dans cette zone les États-Unis auraient le contrôle incontesté et empêcheraient tous les pays d’aller vers davantage de souveraineté.

    Les États-Unis se trouvent à la fin de la guerre dans une position de domination et de sécurité sans équivalent dans l’histoire. Ils ont la moitié de la richesse mondiale, ils contrôlent tout l’hémisphère occidental et les deux rives des deux océans. Ce n’était pas un contrôle total. Les Russes étaient là et il y avait encore quelques parties hors de contrôle, mais l’expansion avait été remarquable. Juste au centre se trouvait le Moyen-Orient.

    Adolf A. Berle, une personnalité libérale, qui fut très longtemps le conseiller du président Roosevelt, mettait l’accent sur le fait que contrôler le pétrole du Moyen-Orient signifierait dans une bonne mesure contrôler le monde. Cette doctrine reste inchangée, elle est encore en vigueur actuellement et c’est l’un des facteurs essentiels pour décider des orientations politiques.

     

    Après la Deuxième Guerre mondiale

    Durant la Guerre froide les décisions politiques étaient invariablement justifiées par la menace russe. C’était dans une bonne mesure une menace fictive. Les Russes géraient leur propre petit empire avec un prétexte similaire, la menace états-unienne. Ce rideau de fumée n’existe plus depuis la chutte de l’Union soviétique. Pour ceux qui veulent comprendre la politique étrangère de États-Unis, un point qui de toute évidence devrait être observé c’est ce qui est arrivé après la disparition de l’Union soviétique. C’est naturellement le point qu’il faut observer, et il s’ensuit presque automatiquement que personne ne l’observe. On en parle à peine dans la littérature universitaire alors qu’il est évident que c’est ce que vous devez regarder pour comprendre la Guerre froide. En fait si vous regardez vous obtenez des réponses tout à fait claires. Le président à l’époque était George Bush I. Immédiatement après la chute du mur de Berlin, il y a eu une nouvelle stratégie de sécurité nationale, un budget de la défense, etc. C’est très intéressant. Le message principal est le suivant : rien ne va changer sauf les prétextes. Donc nous avons encore besoin, disaient-ils, d’une force militaire gigantesque, non pas pour nous défendre des hordes russes parce que ça n’existe plus, mais à cause de ce qu’ils ont appelé la « sophistication technologique » de certains pouvoirs dans le Tiers monde. Maintenant si vous êtes une personne bien éduquée, bien formée, qui vient de Harvard, etc., vous n’êtes pas supposé rire quand vous entendez ça. Et personne n’a ri. En fait je pense que personne n’en a rendu compte. Donc, disaient-ils, nous devons nous protéger de la sophistication technologique des puissances du Tiers monde et nous devons maintenir ce qu’ils ont appelé la « base industrielle de la défense » – un euphémisme pour parler de l’industrie high-tech (les ordinateurs, Internet, etc.), qui dépend principalement du secteur étatique, sous le prétexte de la défense.

    Concernant le Moyen-Orient... Ils disaient que nous devions maintenir nos forces d’intervention, la plupart d’entre elles au Moyen-Orient. Puis vient une phase intéressante. Nous devons faire barrage pour contenir l’ennemi. Nous devons maintenir les forces d’intervention au Moyen-Orient pour défendre nos intérêts, la région qui « ne pouvait pas être offerte en cadeau au Kremlin ». En d’autres termes, désolés les gars, nous vous avons menti pendant 50 ans, mais maintenant que le prétexte n’existe plus, nous vous dirons la vérité. Le problème au Moyen-Orient est ce qu’on appelle le nationalisme radical. « Radical » signifie simplement indépendant. C’est un terme qui signifie « ne suit pas les ordres ». Le nationalisme radical peut être de différentes sortes. L’Iran en est un bon exemple.

     

    La menace du nationalisme radical

    En 1953 la menace iranienne c’était un nationalisme laïque. Après 1978 c’est le nationalisme religieux. En 1953 on a renversé le régime parlementaire et on a installé un dictateur beaucoup plus à notre goût. Ce n’était pas un secret. Le New York Times, par exemple, dans un éditorial, se réjouissait du renversement du gouvernement iranien, estimant qu’il s’agissait d’une bonne « leçon de choses » pour les petits pays qui devenant fous, emportés par le nationalisme radical, rejettent toute autorité et veulent contrôler eux-mêmes leurs ressources. Ce sera une leçon de choses pour eux : n’essayez pas ce genre de bêtises, et certainement pas dans cette région dont nous avons besoin pour contrôler le monde. C’était en 1953.

    Depuis le renversement du tyran imposé par les États-Unis en 1979 l’Iran a continuellement été attaqué par les États-Unis. Au début Carter a essayé de répondre au renversement du shah en organisant un coup d’État. Ça n’a pas marché. Les Israéliens – l’ambassadeur… il y avait des relations très proches entre Israël et l’Iran sous le shah, bien que théoriquement il n’y eût pas de relations formelles – ont fait savoir que si nous pouvions trouver des officiers disposés à tuer 10 000 personnes dans les rues, nous pourrions rétablir le régime du shah. Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Carter à la sécurité nationale, avait à peu près les mêmes idées. Mais ça n’a pas vraiment marché. Les États-Unis ont alors immédiatement soutenu Saddam Hussein, pour qu’il envahisse l’Iran. Et ce n’est pas une mince affaire. Des centaines de milliers d’Iraniens ont été massacrés. Les gens qui sont à la tête de l’Iran actuellement sont des vétérans de cette guerre et ils ont une claire conscience du fait que l’ensemble du monde est contre eux – les Russes, les États-Uniens, tout le monde soutenait Saddam Hussein, tout le monde voulait renverser le nouvel État islamique.

    Ce n’est pas peu de choses. Le soutien des États-Unis à Saddam Hussein est allé très loin. Les crimes de Saddam – comme le génocide d’Anfal, massacre de Kurdes – étaient niés. Le gouvernement Reagan les démentait et les attribuait à l’Iran. À l’Irak on a même donné un privilège rare. C’est le seul pays, avec Israël, qui a pu attaquer un navire états-unien et s’en sortir impunément. Dans le cas d’Israël c’était le USS Liberty en 1967. Dans le cas de l’Irak c’était le USS Stark en 1987 – un navire qui appartenait à la flotte états-unienne protégeant les convois irakiens des attaques iraniennes pendant la guerre. Ils ont atttaqué le navire avec des missiles français, ils ont tué plusieurs dizaines de marins – et ils n’ont reçu qu’une petite tape sur la main, rien de plus.

    Le soutien des États-Unis était tel que c’est quasiment eux qui ont remporté la guerre pour l’Irak. Une fois la guerre finie, le soutien des États-Unis à l’Irak a continué. En 1989 George Bush I a invité des ingénieurs nucléaires irakiens aux États-Unis, pour qu’ils reçoivent des formations de pointe dans le domaines des armes nucléaires. C’est l’une de ces petites choses qu’on cache parce que quelques mois plus tard Saddam est devenu un mauvais garçon. Il a désobéi aux ordres. Juste après cela il y a eu de terribles sanctions, etc.

     

    La menace iranienne

    Pour en revenir à notre époque, dans la littérature sur la politique étrangère et dans les commentaires généraux ce que vous lisez généralement c’est que le problème le plus important pour les États-Unis était et reste la menace iranienne. Qu’est-ce que c’est que cette menace iranienne au juste ? Nous disposons d’une source qui fait autorité sur ce point. C’était il y a quelques mois : un compte rendu au Congrès des États-Unis émanant du département de la défense et des services d’intelligence. Tous les ans ils font un compte rendu au Congrès sur la situation mondiale en matière de sécurité. Le dernier compte rendu, celui d’avril dernier, comporte une

    partie qui concerne l’Iran, bien sûr, la plus grande menace. Il est important de lire ce compte rendu. Ce qu’ils disent c’est que, quoi qu’il en soit de la menace iranienne, ce n’est pas une menace militaire. Ils disent que les dépenses militaires iraniennes sont plutôt basses, y compris si on les compare aux pays de cette région ; et si on les compare à celles des États-Unis, elles sont insignifiantes – probablement moins de 2% de nos dépenses militaires. Par ailleurs ils disent que la doctrine militaire iranienne est basée sur le principe de la défense du territoire national, elle est conçue pour contenir une invasion pendant un temps suffisant pour rendre possible le passage à l’action diplomatique. Voilà la doctrine militaire des Iraniens. Ils disent qu’il est possible que l’Iran pense aux armes nucléaires. Ils ne vont pas plus loin que cela, mais ils disent que si les Iraniens développaient des armes nucléaires ce serait dans le cadre de leur stratégie défensive, afin de prévenir une attaque, ce qui est une éventualité assez réaliste. Le plus grand pouvoir militaire de l’histoire – c’est-à-dire nous –, qui leur a toujours été extrêmement hostile, occupe deux pays frontaliers de l’Iran et menace ouvertement d’attaquer ce pays. Israël, État client des États-Unis, lance les mêmes menaces. Voilà pour le côté militaire de la menace iranienne telle qu’identifiée dans le Military Balance.

    Ils disent par ailleurs que l’Iran est une menace majeure parce que ce pays tente d’étendre son influence dans les pays voisins. On appelle cela déstabilisation. Ils œuvrent à la déstabilisation dans les pays voisins en tentant d’augmenter leur influence et cela est un problème pour les États-Unis, parce que les États-Unis tentent d’apporter la stabilité. Lorsque les États-Unis envahissent un pays c’est pour apporter la stabilité – un terme technique dans la littérature des relations internationales qui signifie obéissance aux ordres des États-Unis. Donc lorsque nous envahissons l’Irak ou l’Afghanistan, c’est pour créer de la stabilité. Si les Iraniens essaient d’accroître leur influence, juste chez leurs voisins, c’est déstabilisant. Cette doctrine, comme tant d’autres, est élaborée dans les universités. Un commentateur libéral et ex-éditeur de Foreign Affairs, James Chase, a même pu dire sans crainte du ridicule que les États-Unis devaient déstabiliser le Chili d’Allende pour apporter la stabilité – c’est-à-dire la soumission aux États-Unis.

     

    Qu’est-ce que le terrorisme ?

    La deuxième menace iranienne c’est le soutien au terrorisme. Qu’est-ce que le terrorisme ? On nous donne deux exemples du soutien de l’Iran au terrorisme : son soutien au Hezbollah libanais et son soutien au Hamas palestinien. Quoi que vous pensiez du Hezbollah et du Hamas – vous pensez peut-être que c’est ce qu’il y a de pire au monde –, qu’est-ce qui fait qu’on les considère terroristes ? Bon, le « terrorisme » du Hezbollah est fêté tous les ans au Liban le 25 mai, fête nationale libanaise qui célèbre l’expulsion des envahisseurs israéliens du Liban en 2000. La résistance du Hezbollah et sa guerre de guérilla avaient fini par obliger Israël à se retirer du Sud-Liban, mettant fin à une occupation de 22 ans, avec son lot de terreur, de violence, de torture – occupation maintenue en violation des ordres du Conseil de sécurité de l’ONU.

    Donc Israël a finalement quitté le Liban et c’est le jour de la Libération au Liban. Voilà globalement ce qui est considéré comme le terrorisme du Hezbollah. C’est comme ça qu’il est décrit. En fait, en Israël c’est même décrit comme une agression. Vous pouvez lire la presse israélienne ces jours-ci et des politiciens de premier plan disent que c’était une erreur de se retirer du Sud-Liban parce que cela permet à l’Iran de poursuivre son « agression » contre Israël, agression qui a commencé en 2000 avec le soutien à la résistance contre l’occupation israélienne. C’est considéré comme une agression contre Israël. Ils ont les mêmes principes que les États-Unis, nous disons la même chose. Voilà pour le Hezbollah. Il y a d’autres actes que vous pourriez critiquer, mais voilà ce qu’est le terrorisme du Hezbollah.

    Un autre crime commis par le Hezbollah c’est que la coalition dont il est l’élément principal a largement emporté les dernières élections parlementaires ; mais en raison du principe communautariste qui prévaut pour l’assignation des sièges ils n’ont pas reçu la majorité des sièges. Thomas Friedman [du New York Times] a donc versé des larmes de joie, comme il l’a lui-même expliqué, lors de ces merveilleuses élections libres au Liban, le président Obama ayant battu le président iranien Ahmadinejad. D’autres se sont joints à cette célébration. Autant que je sache personne n’a rendu compte des véritables résultats électoraux.

     

    Et le Hamas ?

    Hamas est devenu une menace sérieuse – une organisation terroriste importante – en janvier 2006 lorsque les Palestiniens ont commis un crime vraiment grave. C’était au moment des premières élections libres jamais tenues dans le monde arabe et les Palestiniens ont voté comme il ne fallait pas. C’est inacceptable pour les États-Unis. Immédiatement, sans la moindre hésitation, les États-Unis et Israël ont fait savoir qu’ils prenaient la décision de punir les Palestiniens pour ce crime. Juste après vous avez pu lire dans le New York Times deux articles qui se côtoyaient – l’un des deux parlant de notre amour pour la démocratie, ce genre de choses, et l’autre parlant de nos projets de punition contre les Palestiniens parce qu’ils avaient mal voté aux élections de janvier. Aucune contradiction.

    Les Palestiniens avaient dû subir bien des punitions avant les élections, mais elles ont été accentuées après – Israël est allé jusqu’à couper l’alimentation en eau à la bande de Gaza, si aride. Au mois de juin Israël avait déjà lancé 7 700 roquettes sur Gaza. Tout cela s’appelle défense contre le terrorisme. Puis les États-Unis, et Israël, avec la coopération de l’Autorité palestinienne, ont essayé d’organiser un coup pour renverser le gouvernement élu. Ils ont échoué et le Hamas a pris le contrôle de Gaza. Après cela le Hamas est devenu l’une des principales forces terroristes au monde. Vous pouvez leur faire beaucoup de critiques – leur façon de traiter leur propre population par exemple – mais le terrorisme du Hamas est assez difficile à prouver. Les accusations actuelles concernent les roquettes lancées de Gaza sur les villes israéliennes frontalières. C’est la justification qui a été donnée pour l’opération « plomb durci » (l’invasion israélo-états-unienne de décembre 2008) et aussi pour l’attaque israélienne contre la Flotille de la paix en juin 2010, dans les eaux internationales. Neuf personnes avaient alors été tuées.

    Il n’y a que dans un pays très endoctriné que vous pouvez entendre ces choses ridicules et ne pas rire. Passons sur la comparaison entre les roquettes Qassam et le terrorisme que les États-Unis et Israël pratiquent constamment. L’argument n’a absolument aucune crédibilité pour une raison bien simple : Israël et les États-Unis savent très bien comment arrêter les tirs de roquettes : par des moyens pacifiques. En juin 2008 Israël a accepté un cessez-le-feu avec le Hamas. Israël ne l’a pas vraiment respecté – ils étaient supposés ouvrir les frontières et ils ne l’ont pas fait – mais le Hamas l’a respecté. Vous pouvez vérifier sur les sites officiels israéliens ou écouter leur porte-parole officiel, Mark Regev : ils sont d’accord pour dire que durant le cessez-le-feu le Hamas n’a pas lancé une seule roquette.

    Israël a rompu le cessez-le-feu en novembre 2008 en envahissant Gaza et en tuant une demi-douzaine de militants du Hamas. Quelques roquettes ont alors été lancées, puis Israël a lancé une attaque bien plus importante. Il y a eu des morts, tous palestiniens. Hamas a proposé le retour au cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a évalué l’offre, puis l’a rejetée, optant pour le recours à la violence. Quelques jours plus tard il y a eu l’attaque israélo-états-unienne contre Gaza.

    Aux États-Unis, et en Occident de façon générale, y compris les organisations de défense des droits humains, y compris le rapport Goldstone, on considère comme une évidence le droit d’Israël à se défendre en utilisant la force. Il y a eu des critiques disant que l’attaque était disproportionnée, mais cela est secondaire par rapport au fait qu’Israël n’avait absolument pas le droit d’utiliser la force. Vous n’avez aucune justification pour l’utilisation de la force tant que vous n’avez pas épuisé les recours pacifiques. Dans ce cas les États-Unis et Israël n’avaient non seulement pas épuisé les recours pacifiques, ils avaient rejeté tout recours aux moyens pacifiques, alors que c’était parfaitement possible et ils le savaient bien. Ce principe selon lequel Israël a le droit de lancer des attaques militaires est tout bonnement un fascinant cadeau.

    Quoi qu’il en soit, que l’Iran essaie d’étendre son influence et que l’Iran soutienne le Hezbollah et le Hamas c’est, du point de vue des services d’intelligence et du département de la défense, ce qui constitue son soutien au terrorisme.

    Noam Chomsky

    Source : http://www.zcommunications.org/u-s-...

    Traduction : Numancia Martínez Poggi

    article 12192 du site  Legrandsoir.info
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