• Les chiens de garde

    La philosophie nous enseigne la servitude. Elle la justifie et la légitime au profit des bourgeois qui depuis la Révolution Française se sont agrégés sans difficulté à nos dirigeants. C’est là principalement le contenu du livre polémique rédigé en 1932 par Paul Nizan : Les chiens de garde.

    Ainsi nos philosophes sont  les productions de la démocratie bourgeoise édifiant avec reconnaissance tous les mythes qu’elle demande. Ils défendent l’ordre des pouvoirs en place et accréditent de manière plus ou moins consensuelle ceux qui sont toujours du coté du manche.

    Il appartient aux politiques d’abattre la révolution et aux penseurs de produire des remèdes, de fabriquer des recettes, qui inspireront confiance à la bourgeoisie et persuaderont aux forces mêmes de la révolution de rester liées aux destins bourgeois ».

    Nos intellectuels ne produisent que des déclarations verbales, mais travaillent réellement contre les grandes fins qu’ils prétendent poursuivre. Ils doivent garder le silence tout en affirmant qu’ils ne le gardent pas. Ils n’avertissent pas. Ils ne dénoncent rien. De fait, cette fausse sagesse ne séduit et ne justifie qu’elle. Elle n’est d’aucun secours à celui dont la vie ne comporte pas le loisir des pensées vides.

    Un Etat ne requiert point uniquement l’exercice des forces brutales de ses juges, de ses militaires, de ses fonctionnaires et de ses policiers. Il requiert encore des moyens plus subtils de domination. Il n’est pas toujours nécessaire de combattre et d’abattre par la force des adversaires déclarés : on peut les persuader d’abord. C’est pourquoi le pouvoir répressif est doublé par le pouvoir préventif ».

    Nizan distingue avant tout les oppresseurs et les opprimés, puis stigmatise ceux qui profitent sournoisement de l’oppression, constatant qu’il est toujours plus facile à l’oppresseur qu’à l’opprimé de s’adapter à cette dernière.
    Nos intellectuels et leurs médiateurs favorisent notre soumission en faux monnayant toute colère et désir de révolte. Ils nous apprennent la fatalité. Désormais le destin humain consiste dans la liberté idéale et dans la servitude réelle. Telle une religion sous caution pseudo-scientifique, la sociologie, la philosophie, la psychanalyse et bien d’autres disciplines dites de sciences humaines nous invitent à accepter notre sort, que l’on soit gagnant… mais surtout perdant ! Ainsi à l’instar du prêtre qui substitua le malheur de la pauvreté en mérite au regard de Dieu, la guerre n’est plus pour le philosophe un entassement de morts répugnantes, mais la lutte du droit contre la force (du mal). De la même manière la misère disparaît devant les Idées de la misère !

    La bourgeoisie devine que son pouvoir matériel exige le soutien d’un pouvoir d’opinion. Ne subsistant en effet que par le consentement général, elle doit inlassablement donner à ceux qu’elle domine des raisons valides d’accepter son établissement, son règne et sa durée. Elle doit faire la preuve que son confort et sa domination et ses maisons et ses dividendes sont le juste salaire que la société humaine lui consent en échange des services qu’elle rend. Le bourgeois mérite d’être tout ce qu’il est, de faire tout ce qu’il fait, parce qu’il entraîne l’humanité vers son plus haut, son plus noble destin ».

    Certaines injustices sociales semblent parfois gêner nos clercs et nos bourgeois influents. Ils soulagent alors à peu de frais leur conscience par des pétitions qui mendient la clémence des pouvoirs. Mais comment aller au bout de ces pensées, de ces esquisses d’indignation  de révolte ? Ils ne sauraient les pousser jusqu’à un refus radical qui les contraindrait peut-être de proche en proche à ne plus accepter ce qui fonde leur confort, leur sûreté, leur ordre, cela sur quoi repose leur vie même. A se refuser eux-mêmes. Et comment peut-on se refuser soi-même quand notre orgueil nous divertit au point de se sentir élu

    Encore aujourd’hui, et toujours dans notre pays, les classes dominantes possèdent tous les moyens et tous les canaux que la révolution n’a pas. Cette dictature sournoise n’est pas morte… mais doit être tuée ! Nos intellectuels ne doivent plus être les « sténographes de l’ordre », mais ceux qui expliqueront la nécessité de le dépasser, voire de le subvertir. Il s’agit désormais de renverser l’irréversible et non faire croire que le monde n’est pas tout ce qu’il paraît.

    On ne fera plus jamais croire à personne qu’il suffise en tout temps, pour s’adapter au monde de le regarder et de l’interpréter comme il faut. »

    Cédric Bernelas

    Publié par : http://diktacratie.com


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