• Justice, pouvoir et médias : Circulez, il n'y a rien à voir !

    Justice, pouvoir et médias :
    circulez, y’a rien à voir !

    Synthèse du colloque
    organisé par le club Démocraties



    Olivier Bonnet
    Jeudi 4 Février 2010

    Justice, pouvoir et médias : circulez, y’a rien à voir !


    Nous vous annoncions ici la tenue, le 9 novembre dernier, du colloque intitulé Justice, affaires sensibles et réformes en cours. En voici, avec l’accord de son auteur, la synthèse parue dans La lettre de démocraties de janvier 2010.



    "Nous fûmes nombreux au Cercle républicain à participer à cette réunion consacrée au traitement des affaires « sensibles » dans notre pays. « Affaires sensibles » : ainsi sont désignées les affaires que doit traiter la justice alors que l’exécutif se sent obligé de les contrôler au nom de la raison d’Etat.


    jmrPar deux fois, Jean-Marie Rouart a été licencié par le Figaro pour avoir écrit des articles traitant d’affaires judiciaires sans respecter le politiquement correct de rigueur. Il est bien difficile, dit-il, pour un journaliste de parler de la justice, sauf s’il est chroniqueur judiciaire, membre de la confrérie délinquants-policiers-magistrats-avocats-politiques, ce qui lui confère l’immunité… Ses premiers ennuis sont venus de l’affaire Gabrielle Russier, jeune professeur qui avait commis le crime d’aimer un élève, les derniers de celle d’Omar Raddad. Sa conclusion ? Nul n’est autorisé en France à parler de la justice s’il ne fait pas partie de la confrérie et la « presse libre », dans un pays « tellement libre », n’est pas adaptée aux grandes affaires. On ne peut évoquer ce qui est sérieux et grave, la presse n’en veut pas. La presse ne veut que des affaires moyennes, qui aient l’air graves mais qui ne le soient pas trop, le « Canada dry » du journalisme !


    Quatre personnalités nous ont ensuite résumé autant d’affaires emblématiques : Fabienne Boulin a rappelé les circonstances de la mort de son père en 1979, considérée par la justice comme un suicide malgré l’invraisemblance de cette hypothèse ; Michel Roussel, le directeur d’enquête en charge de l’affaire Alègre, a exposé tous les obstacles qui furent mis à la réalisation de l’enquête dès lors que des magistrats et des hommes politiques pouvaient être mis en cause ; Magali Drouet, porte-parole des familles des victimes de l’attentat de Karachi, estime que la justice a délibérément caché la vérité aux parties civiles pour qu’on ne parle pas des commissions promises pour la vente de sous-marins au Pakistan ; Maurice Buttin, conseil de la famille Ben Barka depuis 1965, a retracé les péripéties d’une enquête jamais conclue depuis quarante-quatre ans, de sorte que ne puisse être révélé le rôle de l’Etat français, ni celui de l’Etat marocain.


    Pour Philippe Motta, journaliste (Sud Ouest) et écrivain, une affaire est sensible dès lors qu’elle peut provoquer une perte de confiance des citoyens dans l’idée que se font de l’ordre établi ceux-là mêmes qui en sont les garants : un député ne peut pas violer un texte qu’il a voté, ni une actrice célèbre être kleptomane, ni un artiste, du cinéma ou de la chanson, être un violeur… En province, en particulier, journalistes et hommes de pouvoir sont proches et tombent souvent d’accord pour bc« protéger » l’opinion de la connaissance d’un événement susceptible de nuire à une « icône ». Benoît Collombat (France Inter) raconte le fonctionnement des « arrières cuisines » dans lesquelles un sachant, magistrat instructeur, commissaire de police, membre éminent des Renseignements généraux, voire son Directeur, tissent des liens privilégiés avec des journalistes auxquels ils réservent l’exclusivité de certains scoops. Ils les mettent en quelque sorte sous « perfusion », ce qui leur permet de faire passer les informations, voire les désinformations, qu’ils veulent voir publiées. Il cite un certain nombre d’affaires, mort de Robert Boulin, mort de Pierre Bérégovoy, mort du juge Borrel à Djibouti, assassinat de Yann Piat, et analyse le traitement que leur a réservé la presse en général et le Canard Enchainé en particulier. Daniel Stilinovic (magistrat retraité et écrivain) estime que la société continue à utiliser des boucs émissaires que l’on sacrifie pour apaiser la colère des dieux et permettre l’oubli d’affaires épineuses. Les dieux ? L’opinion publique ! Dans l’affaire des disparus de l’Yonne, il a joué douloureusement ce rôle et se bat pour être totalement réhabilité. Olivier Morice, avocat, cite ce que lui a rapporté Abdou Diouf d’une conversation avec Léopold Sédar Senghor : « Méfiez vous Diouf, chaque fois qu’on avance la raison d’Etat ou que l’on parle d’affaires d’Etat, c’est pour, la plupart du temps, masquer la recherche de la vérité ». C’est pourquoi la suppression des juges d’instruction ferait disparaître l’indépendance de la justice. Le général Henri Paris* rappelle que la manipulation de l’information ne date pas d’aujourd’hui : après la désastreuse offensive Nivelle en 1917, la presse n’a parlé que des mutins fusillés, pas des 300 000 morts de la bataille…
     

    ybLe colloque fut suivi d’un diner-débat autour d’Yves Boisset. Le cinéaste estime que le cinéma et la télévision devraient traiter des grandes affaires politiques, criminelles et sociales. Or, en France, cela ne se fait pas contrairement à ce que l’on voit dans d’autres pays comme les Etats-Unis où ont été tournés quelques 850 films sur la guerre du Vietnam alors que, chez nous, il n’y a guère qu’une trentaine de films sur la guerre d’Algérie. Pourquoi ? Comment ? Le pouvoir a mis en place un système imparable : si vous voulez faire un film qui le dérange, vous ne trouverez jamais l’argent nécessaire ! Cette méthode n’est pas l’exclusivité de la droite, le système a même été créé par un ministre du Budget qui était socialiste ! Un intéressant débat s’instaure, animé par Edwige Avice, Jean-Pierre Carrel, Jacques Delput, Jean-Claude Chardon et bien d’autres… De nombreux auditeurs sont venus voir les organisateurs et ont déclaré : « Tout ce que nous avons entendu est désespérant… ». Peut-être mais, en tant que citoyens, réfléchissons à la conclusion de Benoît Collombat : « Les espaces pour un travail de longue haleine digne de ce nom sont de plus en plus réduits. La volonté des rédactions de plus en plus déficiente. A cet égard, Internet, comme outil supplémentaire d’enquête, constitue à mes yeux un réel atout. J’y prolonge bien souvent mon travail. Le débat sur Internet vu exclusivement comme un « tout-à-l’égout journalistique » est pour moi un faux débat. L’important, c’est le contenu, pas le contenant. Je terminerai en disant qu’il est de la responsabilité de chaque citoyen, par rapport aux médias, de ne pas rester passif devant le travail des journalistes. De ne pas devenir « les perfusés des perfusés », en quelque sorte. Et que si nous avons les hommes politiques qu’on mérite, on a, peut-être aussi, les journalistes qu’on mérite… »


    A l’heure où les « Editocrates », ces quelques dizaines de stars de l’éditorial, qui disent leur « vérité » sur tout et en tout lieu et qui, depuis 20 à 30 ans, « font » l’opinion publique, fulminent, et avec quelle violence, contre Internet qui les prive de leur emprise sur le cerveau des Français et refusent tout contre-pouvoir démocratique, en particulier quand il met enfin le doigt sur leurs connivences et leur révérence, il appartient au citoyen de dire haut et fort quel type d’information il veut."

    Les minutes de ce colloque sont en vente chez Démocraties pour la modique somme de huit euros pour les adhérents et de trente pour les autres (contact : democraties@wanadoo.fr).


    * docteur en histoire et diplômé de l’Institut de sciences politiques de Paris, enseignant en géopolitique à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales, ancien membre de plusieurs cabinets ministériels et président du cercle de réflexion politique Démocraties.



    http://www.plumedepresse.net

    http://www.alterinfo.net/Justice,-pouvoir-et-medias-circulez,-y-a-rien-a-voir-!_a42254.html


    _________________________________________________________________________________________________



    A Lire, mon article :


    Utilisez ce lien si vous voulez ajouter un signet ou un lien direct vers cet article... M. Elkabbach, de qui vous moquez-vous ? (cliquer sur le papillon)








  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :