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Comment on essaie de coincer la Russie. Quelle sortie de crise ?
Affaire Yukos :
la Russie vient de s’offrir une leçon à 50 milliards de dollars - par Karine Bechet-Golovkohttp://www.comite-valmy.org/spip.php?article4835
lundi 28 juillet 2014, par Comité Valmy
Affaire Yukos :
la Russie vient de s’offrir une leçon à 50 milliards de dollars
Il est des leçons qui coûtent cher, mais il peut être encore plus risqué de ne pas en tirer toutes les conséquences, aussi désagréables soient-elles. La Russie vient d’être condamnée en arbitrage international à payer plus de 50 milliards de dollar de compensation à trois actionnaires offshore de Yukos en violation des dispositions de la Charte européenne de l’énergie du 17 décembre 1994 dans le cadre de la CNUDCI, la Commission de l’ONU pour la mondialisation de la réglementation commerciale, qui s’est également trouvée dotée d’un mécanisme d’arbitrage international. Or, la Russie n’a pas ratifié cette Charte. Plusieurs questions se posent donc. Pourquoi la Russie a nommé un arbitre auprès d’un tribunal arbitral dont elle ne reconnaît pas la compétence ? Pourquoi un tribunal arbitral peut être compétent dans une affaire quand l’Etat visé ne reconnait pas sa compétence ? Pourquoi la Russie recours-elle à des cabinets d’avocats américains ? Quelles sont les conséquences ? Peut-on réellement dire que la décision est politique ?
Le 2 novembre 2004, trois compagnies offshores situées à Chypres, Hulley, YUL et UPL, qui sont trois actionnaires de la OAO Yukos Oil Company, s’adressent au Président russe pour contester ce qu’ils considèrent être l’expropriation illégale de Yukos faite par l’Etat russe au profit de compagnies étatiques. La procédure amiable échoue et ces trois actionnaires s’adressent à l’arbitrage institué auprès de la CNUDCI.
En effet, cette procédure a la particularité, par rapport aux autres procédures d’arbitrage, de prévoir la possibilité, grâce à l’article 26 de la Charte énergétique, de permettre aux investisseurs - ici aux actionnaires - de défendre leurs intérêts en arbitrage, sans que l’Etat ne donne son consentement inconditionnel. C’est un pas phénoménal dans la lutte contre la justice étatique, ressentie comme un mécanisme de soumission du business à la souveraineté des Etats. Par ce renversement des valeurs, l’on met des compagnies internationales au-dessus des lois nationales, quasiment au même niveau que les Etats.
Or, si la Russie des années 90 a eu la faiblesse de signer cette Charte, elle a eu le réflexe de ne pas la ratifier. Cette Charte, quelle que soit son appellation, est un simple traité international. Il ne peut donc être opposable qu’après ratification, dans le cas contraire il ne peut produire aucun effet juridique envers l’Etat qui ne l’a pas ratifié.
Donc comment apprécier la compétence de la juridiction ? Et en effet, la Russie a contesté pendant 4 ans cette question. Le 15 octobre 2005, elle rejette la compétence du tribunal arbitral, qui finira quand même par se reconnaître compétent lui-même en 2009. En effet, les investisseurs peuvent le saisir sans le consentement de l’Etat visé. C’est plus simple.
Etant dans une impasse, comprenant qu’elle peut de toute manière se faire condamner sans même avoir un arbitre pour la défendre, elle en nomme un, un américain. Donc concernant le droit russe, pour une affaire qui touche une société russe, qui se trouve en Russie, les règles de la Charte énergétique non ratifiée par la Russie seront appliquées contre elle par des "arbitres" dont aucun n’est russe.
Pour achever le tableau, la Russie recourt aux services de deux cabinets américains, Cleary Gottlieb Steen and Hamilton et Baker Botts LLP. La langue "choisie" est exclusivement l’anglais et le règlement se fait à La Haye.
Donc, la Russie accepte de jouer le jeu de cet arbitrage qu’elle ne reconnaît pas, selon des règles qu’elle ne maîtrise pas et sans reconnaissance de sa langue nationale comme langue de procédure.
Toutefois, si la Russie estime qu’une telle procédure est apte à être équitable, à respecter les intérêts légitimes de la Russie, pourquoi ne recourt-elle pas aux services de cabinets juridiques russes ? Peut-on réellement penser qu’un grand cabinet d’avocats américains va réellement se battre pour la Russie dans une affaire aussi politique au risque de perdre en image ? C’est absurde et naïf. Pourquoi aussi avoir choisi un arbitre américain ? En définitive, l’affaire se joue "entre soi", dans une logique exclusivement anglo-saxonne, à laquelle la Russie s’est alors pliée, soit par naïveté, soit par incompétence.
Ensuite, le déroulé du procès est intéressant. La personnalité des témoins-experts. D’un côté, l’on appelle, notamment, des personnalités à caractère politique en tant que témoins ou experts. Par exemple, Leonid Nevzlin, le numéro deux de Yukos qui est parti en Israel ou Andreï Illarionov, l’ex-conseiller du Gouvernement et l’un des symboles de l’opposition anti-Poutine. De véritables experts, en effet, d’une objectivité incontestable.
Face à cela, la position russe cherchant des experts juristes n’émettant qu’un avis "défensif" totalement décalé du contexte politique.
Résultat, la Russie est très lourdement condamnée. La somme est historique. L’agence Reuters affirme même que cela tombe dans une période de grande stabilité financière de la Russie et qu’il est possible qu’elle prenne fin. Surtout si l’on pense que dans quelques jours la CEDH va rendre une décision qui pèse également plusieurs milliards. La décision tant attendue apparaît juste après le crash du Boeing et dans le contexte de tension internationale que nous connaissons. Ce peut être le moyen de faire plier la Russie, si elle ne veut pas détruire son économie et renoncer à sa politique.
De plus, elle a 10 jours à compter du prononcé de la décision pour faire appel. Et comme le tribunal arbitral se trouve à La Haye, l’appel se ferait devant les juridictions nationales hollandaises. Après le crash, peut-on garantir une réelle impartialité ?
Sans entrer dans le fond de l’affaire, quelles leçons peuvent-être tirées.
Tout d’abord, si la Russie veut jouer selon les règles anglo-saxonnes, elle doit former ses propres juristes à cela. Quand une affaire est technique, il est possible de la "sous-traiter". Ici et maintenant c’est du suicide. La preuve en est faite.
Il est peut-être temps pour la Russie de sortir de sa traditionnelle position défensive pour être plus offensive. Pour cela aussi, elle a besoin d’avoir ses spécialistes à l’intérieur du pays. Mais elle doit surtout faire un choix. Car elle ne peut pas laisser jouer "les grands occidentaux" sur son dos, sans maîtriser ni le processus, ni les règles. C’est un renoncement de souveraineté et cela contrevient totalement à sa politique et à son discours souverainiste. Les effets s’annulent donc les uns les autres et entraînent une certaine confusion, notamment à l’intérieur.
Les réactions peuvent être de contester en justice, mais en attaquant réellement cette fois-ci. Ou alors le moment est peut-être venu de sortir de certains organismes internationaux dont les processus sont de plus en plus politisés. Rappelons que les Etats Unis sont particulièrement réticents à reconnaître la juridiction internationale.
Karine Bechet-Golovko
lundi 28 juillet 2014
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