• Le formatage des esprits est-il l'arme du faible ou du fort ?


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    Intervention de Jean-François Bianchi :


    La question évoque l’esprit des lumières. Comment l’esprit des lumières est venu transformer les fondements de notre société. La morale à l’école s’est nourrie de faits d’actualités et des normes de la République. L’Etat a ainsi formaté les étudiants à partir de cette logique là.


    Qu’est-ce que l’on entend par formatage ?


    Soit on dit que c’est une démarche éducative, la transmission de la pensée dominante, la vocation de formation des attitudes, le formatage religieux et philosophique, le façonnement des esprits… Soit on parle de reformatage : comment à partir d’un modèle de société nous allons reformater les esprits. Cela passe par la remise en question et la contestation du modèle dominant.


     

    1- Le formatage peut être compris comme le fruit d’une éducation ou d’un modèle, il est par nature l’arme du fort. Ce modèle qui va définir une norme de pensée va être intégré dans tous les travers d’une société. Le danger survient lorsqu’il met en péril le libre arbitre : exemple: le modèle américain, qui produit une matière de modèle dominante. Quand la France dit que la culture n’est pas un bien marchant, elle ne fait que contester le modèle dominant américain.

    Lorsqu’un mineur dit au tribunal « objection votre honneur », il témoigne de l’influence d’une culture et de code qui ne sont pas ceux de notre société. Il a probablement appris ces codes dans une série américaine. On reconnait dans les principes éducatifs un certain nombre de modèle de fonctionnement, l’ENA, Science-Po… Les médias et les lobbies sont des acteurs très puissants du formatage des pensées. Ils veulent rentrer dans des principes d’éducation. (par exemple : l’enseignement du souvenir de la shoah). L’homme trouve sa liberté dans le choix de ce qu’on lui propose. L’idée est que si on peut formater alors on peut reformater. Il s’agit d’une reprogrammation qui est très certainement l’art du faible.

     


    2- L’utilisation de l’influence, de la polémique, va casser la norme, contester sa légitimité, et la remettre en cause. Le formatage des esprits est bien le formatage des mécanismes de la pensée qui amène à un changement de comportement. L’alter mondialisme, l’EGE s’inscrivent dans des mouvements de reformatage des esprits. A bien y réfléchir, la reprogrammation est souvent la source de sa propre disparition. Exemple du colonialisme : Les valeurs des lumières ont été transmises dans les territoires colonisés et pourtant on a perdu nos colonies.

     

    Le formatage des esprits est-il l’arme du fort au faible ? Dans la logique du fort, peut-on utiliser le mot « arme » ? Probablement pas ! On ne considérera jamais le formatage comme une arme. Si l’on demande à un Américain si la culture est une arme il dira non… Si on utilise le formatage comme un outil offensif, le formatage est beaucoup plus l’arme du faible (séance de rééducation des populations par le Vietminh, endoctrinement religieux par les talibans).

     

     

    Intervention d’Hervé Busini :


     

    Nous ne passerons pas en revu les différentes périodes politiques. Je peux être perçu comme un agent de formatage des esprits car le journaliste de télé participe au formatage des esprits. Il est responsable, voire coupable mais il ne s’en rend pas compte. J’ai lu l’ouvrage de Christian Salmon « Story Telling » (éditions de la Découverte, 2007), ce livre est intéressant mais dans le fait qu’il fait « tilt ». C’est un choc considérable ou tout d’un coup, il y a eu une révélation sur ce qui nous guettait….Par rapport à la question qui est posée, je poserai la question du discours de vérité. Dans l’activité des différents discours, on le justifie car c’est une production de vérité. Il y a un philosophe Michel Foucault qui parle de la production de la vérité y compris à travers la production des images. La production de vérité est importante y compris pour la politique des civilisations. Quelles furent les différentes productions de vérité suivant les différents pères fondateurs de la technicité des discours. Hérodote a écrit l’enquête qui a plusieurs tomes (aller vers, sur le terrain). L’ancêtre du métier, l’ancêtre du discours de description qui parle du terrain, de ce que l’on a vu, du témoignage oculaire (Tome 2 : les croque-morts qui viennent voir les familles égyptiennes). Un peu plus tard, Thucydide, un général qui a perdu la guerre du Péloponnèse, raconte la guerre pour que l’humanité ne recommence pas les atrocités. Il critique Hérodote car il ne recoupe pas les informations. C’est le besoin d’avoir plusieurs témoins. Ainsi va naître progressivement la matrice de production de vérité. L’église va mettre en place l’art de l’interview. L’interview veut dire « avouer, se présenter dans ses complexité » c’est à dire montrer la part d’ombre, la part simple. C’est l’époque royale. L’enquête et l’aveu permettent de fonder le système judiciaire et permettent la parité, l’équilibre. Dans ce régime de vérité, on aboutit à un récit. Gaston Leroux invente le héros de type « Rouletabille » c’est l’œuvre de fiction. Cela se traduit sous sa forme vulgaire aux Etats-Unis par le grand reportage. Des femmes se spécialisent dans l’investigation. Cela aboutit aux lignes profondes de structuration du récit. La statistique apporte un autre régime de vérité au XVIIème siècle. C’est le regard global, celui qui porte sur la série : analyse de la répétition du fait et non plus seulement la narration du fait.

    Le premier régime de vérité pour le journaliste se déroule de l’antiquité aux années 1950, ce sont les faits divers qui sont racontés (sur l’exemple de l’émission « faites entrer l’accusé » que Christophe Hondelatte a réactualisée ces dernières années). A partir des années 1950, c’est le régime du chiffre, « mon information est chiffrée ! » sur le « fait » de société. Intéressant car une personne incarne quelque chose qui va se reproduire. C’est là qu’intervient l’expert. Il faut un discours savant sur ce fait de société. Nous sommes sur la gestion de la vie. Problème de sexualité, de voiture, d’enfant…quelles sont les réalités chiffrées sur ce sujet. L’intégralité de nos faits et gestes peut faire l’objet d’une revue, d’une chaine télé, d’une presse. C’est ce qui crée les niches en termes de marché audiovisuel. Il est intéressant de voir comment les chiffres sont venus conditionner les décisions. Il faut aller au fait, il faut que ce soit rapide. Il y a une diffusion des arts de faire du journaliste dans la société pour produire des discours de vérité. La crise de la vérité provient du web c’est la crise de la vérité car c’est une manière de faire resurgir les individualités qui s’auto-publient dans son intimité. Le monde se morcelle au plus proche. L’invraisemblable est possible, il peut baffer et mettre sur le net, créer des communautés. Comment on intègre ce discours d’hyper individualité. Cette affaire est planétaire. Nous somme au niveau de l’humanité. La question est politique, philosophique…Comme gérer cette problématique. Dans « Storytelling », l’auteur a retrouvé les fondements du discours de vérité en expliquant comme des gens l’ont utilisé comme des armes. J’ai trouvé regrettable qu’il n’y ait pas assez d’éléments concrets sur ces techniciens de la narration. C’est vrai que la statistique a bousculé la donne. La vie est théorisée en parlant de bio pouvoir : le pouvoir sur la vie. Tout ça a pour corollaire la production d’image.

     

     

    Est que le formatage est l’arme du faible ou du fort ? La question porte sur la production du discours de vérité.

     

    Débat:

     

    CH : Pour rebondir sur ce que vient de dire Hervé, je citerai l’exemple du mouvement d’extrême gauche Tupamaros qui a fait parlé de lui en Uruguay au cours des années 70, la première phase de leur action révolutionnaire visait à leur donner une image de « Robin des bois » (le héros au secours du faible qui lutte contre les actes d’oppression du fort). Les revendications des opérations subversives symboliques créaient à la fois une légitimité et une forme de formatage des esprits dans les couches de population qui soutenaient leur combat. Lorsque les Tupamaros ont durci leurs actions et ont sombré dans le terrorisme, leur matrice de vérité s’est affaiblie et leur propagande a perdu en résonance.

     

    JFB : Dans les démonstrations il y a deux paradigmes, il y a la gestion de la cible et la gestion de la vérité. L’expert prétend à une connaissance scientifique. Aujourd’hui on a un nouvel intermédiaire entre l’expert et la crise du discours de la vérité, c’est le coach qui dit comment faire. Exemple des émissions de décoration qui formatent les esprits des téléspectateurs pour expliquer comment décorer leur habitation. Ce qui est vrai, c’est ce que l’on voit. Si on reprend les différentes étapes par rapport au cycle de décision, on retrouve Hérodote : Ce que je vois, l’église, les croyances, des attitudes avec les statistiques.

     

    Philippe Baumard : Elle a bon dos la capillarité, l’archéologie du savoir, deux gros messages : la dépossession (de notre métier par la statistique), la déresponsabilisation (le spectateur). Il y a en fait une crise d’un système de production face à un autre système de production. On a le canal historique (la télévision) et d’un coup surgit ce grand phénomène, le web.

     

    HB : Il y a des grandes pratiques de production de vérité qui sont à l’œuvre. Le journaliste renvoie à des choses qui sont extrêmement profondes. La capillarité s’exprime sur une période très longue. La validation dans le temps est très compliquée à expliquer. Nous ne sommes pas dépossédés par le fait qu’il y aurait une extension de la capacité à produire la vérité par la statistique. La statistique permet autre chose, on approche des réalités politiques. La restauration de l’intimité, de l’individualité avec la statistique est une garantie d’une vérité personnelle. Je pense que la statistique est une science qui a son rôle et qui suscite une pratique radicalement différente.

     

    Philippe Baumard : Dans les interviews des années 50, il y avait de la ruse, des jeux …est-ce que les grands médias ne se plantent pas en prenant le web par le mauvais coté. Vous abandonnez la capacité d’intelligence en répondant au volume.


    HB : On retrouve dans l’art de l’interview, un voyage dans l’intimité de la personne. Je suis d’accord que l’on n’arrive pas à copier le web, sauf par l’utilisation des petites caméras. Exemple du film de Brian de Palmas. Le brut devient quelque chose estampillé de vérité. C’est ce qu’on appelle la vidéo journalistique. Intéressant car ça permet de retrouver le témoignage oculaire, en utilisant le web.

     

    Guillaume Desmorat : Quant on parle d’arme du fort et du faible, on parle d’offensive donc de violence. L’influence reste une forme de violence contre l’esprit. Est ce que le journalisme n’est pas responsable de la violence liée au formatage des esprits ?

     

    JFB : L’influence c’est tout sauf l’utilisation de l’autorité et de la force. Le formatage des esprits, si l’on considère qu’il est l’objet d’une seule volonté, est d’une violence absolue. En fait il y a 200 sources de formatages, le libre arbitre s’exprime dans le choix que l’on fait de suivre une école de pensée ou une autre. Qu’est ce que la liberté de l’homme si ce n’est de choisir ses propres subordination. L’homme va devoir choisir un modèle mais il a la liberté de choisir.

     

    Soufiane El Khiati : La différenciation dans le journalisme fait que le marché est hyper- segmenté, on ne reçoit plus la publicité, on prend ce qui nous intéresse. Est-ce qu’il y a une crise des médias qui ne sont plus adaptés au marché ?

     

    HB : J’ai été rédacteur en chef du 20 heures de la 2, à aucun moment nous ne pensons, nous ne jugeons le choix de nos sujets, versus l’audimat… TF1 fait pareil… Il faut se méfier de ce qui apparait comme des évidences et ne recouvre aucun aspect pratique de la vie des gens. Il n’y a plus de faits divers mais des faits sociétaux… Si vous regardez bien, il y a plein de reportage de politique étrangère, exemple le Kosovo dans le 20H. Des scoops à la télé, il n’y en a plus, il n’y a rien de plus ennuyeux que le 20H. Du scoop dans l’information télévisée, il n’y en a pas, c’est ça la violence, je fais faire un sujet sur la grève, je reste une heure sur place, ou est le scoop ? Rien, c’est du vent. Par contre pour le programme, on voit l’importance de la part de marché, car les émissions sont capitales…. Toutes les 45 secondes, il faut une relance, les mecs qui passent doivent être acceptables. Dans le service public, il n’a jamais vu ça. Voir la shoah par balle le 12 mars.

     

    Etre journaliste : faire les gros titres pour que l’attention soit attirée, que le journal soit acheté et que le journal soit regardé. Si on reproche à la presse sa logique marchande, la presse n’a jamais été un service public, c’est un service commercial. La dimension marchande de la presse et de l’information, existe depuis longtemps, c’est la nature profonde du marché de l’information.

     

    Bertrand Terreux: Quand Nicolas Sarkozy tutoie tous les journalistes, la vérité n’existe plus, que se passe t-il à France 3 ?

     

    HB : Je suis d’accord avec vous, c’est une technique du politique par excellence qui tutoie tout le monde même Angela Merkel. On voit les photos de Nicolas Sarkozy au milieu de la presse, l’air heureux, il joue de la connivence, c’est à eux et à nous d’élever la conscience des uns et des autres, qu’elle soit vigilante. Il y a plein de spécialistes de ce genre. Exemple de

     

    Villiers Le Bel : Nicolas Sarkozy l’a annoncé dans une de ces émissions une semaine avant l’arrestation. Aujourd’hui on montre le contre champ, un rééquilibrage par rapport à un certain nombre de légendes. Pour retirer le doute, s’il y a beaucoup de journalistes sur place, on les montre. Autre exemple quand Nicolas Sarkozy voulait retirer une émission de France 3, cette émission était vraiment nulle. Mais j’ai répondu à Nicolas Sarkozy qui parlait de cette émission : « on assume, on défend mais derrière on nettoie la mauvaise conduite ». C’est la relation qu’il induit : « on est pote, on se parle et on se dit la vérité». Dans la gestion en temps réel, il vaut mieux avoir les idées claires plutôt que de défendre l’indéfendable….Problème de déontologie : tant qu’il y a une caméra qui est là, il ne faut pas parler sauf si elle est par terre. C’est une affaire de jeu. Ce sont les journalistes belges qui nous ont (passez moi l’expression) « mis le nez dans la merde » avec Mitterrand, qui les a jetés, ils ont tout monté et ont bien fait.


     

     

     

    Source: SEMINAIRE DE RECHERCHE

    Le formatage des esprits est-il l’arme du faible ou du fort ?

     

     

    20 février 2008

    Intervenants :

    MR Jean-François Bianchi

    Mr Hervé Brusini.

     

    Présentation de Jean-François Bianci:

     

    Spécialiste dans l'ingénierie de l'information, J-F. Bianchi enseigne la théorie et les moyens des actions d'influence appliqués aux champs de confrontation. Il est l'un des trois professeurs associé de l'École de Guerre Économique. J-F. Bianchi est titulaire d'un diplôme de 3e cycle d'Intelligence Économique (EGE, Paris), d’une maîtrise en communication (EFAP, Paris) et est breveté du cours supérieur d_état-major des ORSEM (ESORSEM, Paris). Il est également diplômé du cours de commandement interarmées (r) du Collège des Forces Canadiennes de Toronto (CFC, Canada). Il est aujourd'hui consultant en stratégie de communication au sein du cabinet Sensei Communication, après avoir été responsable de la communication et des relations extérieures de l_Office du Tourisme et des Congrès de Paris. Comme colonel (r) et spécialiste d'état-major, J-F. Bianchi sert également au Ministère de la Défense comme spécialiste des opérations d'informations et des opérations militaires d'influence. Il contribue à la rédaction et à l'évolution des doctrines militaires nationales et multinationales. Il a déjà participé à plusieurs missions opérationnelles, plus particulièrement en ex-Yougoslavie et au sein de l'OTAN. Il est détenteur de plusieurs distinctions nationales et étrangères.

     

    Présentation d’Hervé Brusini :

     

    Directeur délégué à l’information à France 3, Hervé Brusini a un parcours singulier (licence en Droit, doctorat de sciences politiques). Il est aussi professeur associé à l’école de journalisme de Science-po Paris. Hervé Brusini a fait l’essentiel de sa carrière dans les chaînes de la télévision publique. Il a réalisé de nombreux reportages pour Antenne 2 et l’émission La marche du siècle avant de prendre la direction de la rédaction nationale de France 3 jusqu’en 2003. Il s’occupe également de l’émission pièce à conviction. Hervé Brusini est co-lauréat avec Dominique Tierce en 1991 du prix Albert Londres dans la catégorie Grand Reporter de l'audiovisuel pour un reportage sur l'affaire Farewell diffusé sur France 2. Ce reportage a été réalisé avant la chute du mur de Berlin et relate la défection d’un agent du KGB qui a informé le monde occidental sur le pillage mené par l’URSS. Une partie des images a été filmée en URSS.

     

    http://mariereveuse.over-blog.com/article-le-formatage-des-esprit-est-il-l-arme-du-faible-ou-du-fort--43664330.html


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