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    La sale guerre syrienne éclabousse les médias internationaux

     

    La sale guerre syrienne éclabousse les médias internationaux

     

    Par Elijah J. Magnier@ejmalrai

    Traduction : Daniel G.

    En plus d’avoir causé des centaines de milliers de morts et de blessés, une destruction évaluée à des centaines de milliards de dollars, des millions de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays, la sale guerre en cours depuis sept ans en Syrie a sérieusement miné la crédibilité des médias internationaux. Unis comme un seul homme, la majorité des journalistes se sont lancés à corps perdu dans une campagne médiatique internationale violente en prenant position contre d’autres journalistes, analystes, universitaires et militants, qui se sont ainsi retrouvés en minorité.

    Quiconque s’opposait au « changement de régime », rejetait la propagande interventionniste, se prononçait contre une guerre plus large contre la Russie et se battait pour offrir un point de vue différent de la trame narrative étroite proposée par les néoconservateurs était pris à partie. Tous ont été qualifiés de « pro-Assad » ou, plus récemment, de « pro-attaque chimique ». De nouvelles perceptions sont toutefois apparues et ont créé ce qu’on pourrait appeler un nouveau constructivisme social, qui s’oppose à ces médias puissants, mais biaisés, qui cherche et trouve de nouvelles réalités, qui est prêt à faire le procès des médias institutionnels et qui se désintéresse de ceux qui ont été perçus pendant si longtemps comme les porteurs de connaissances vérifiées et incontestables. Certains accusent même aujourd’hui ces journalistes biaisés d’être des « apologistes salafo-wahabbites ».

    Ces médias se sont joints aux USA, au R.U., à la France et à de nombreux autres pays de l’Europe et du Moyen-Orient dans leur « guerre contre la Syrie », sans prendre en considération la volonté du peuple syrien ou l’existence et le résultat des élections générales. La majeure partie de la « Syrie utile » a été libérée, sans aide ou consensus des Nations Unies, et sans stratégie précise ou solution de rechange plausible proposée qui réponde aux désirs des Syriens plutôt qu’à ceux des mandataires de ces pays. Bon nombre de pays ont investi au total plus de 140 milliards de dollars en Syrie pour n’obtenir qu’un seul résultat : un « retour à la case départ », dans un pays détruit dont la population a été dispersée. Le monde semble ignorer ce qu’a apporté le changement de régime en Libye, l’intervention américaine en Afghanistan (aux conséquences destructrices pour ce pays et le Pakistan), de pair avec les conséquences du changement de régime en Irak.

    Les médias institutionnels ont cessé de rapporter les principaux faits de la guerre en Syrie parce qu’ils étaient en train de perdre la bataille en vue de faire tomber le gouvernement syrien et son président Bachar al-Assad, d’autant plus que l’armée syrienne était en train de gagner chaque lutte contre les militants pro-saoudiens et djihadistes. Ces djihadistes ont été défaits dans la plupart des régions de la Syrie, en ayant été repoussés principalement dans les villes d’Idlib et de Jarablous au nord, et dans des poches complètement à l’est et au sud, à la frontière avec Israël et la Jordanie.

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    Cependant, les journalistes ont décidé de s’engager dans une guerre d’un autre type (une vendetta?) : faire taire toute voix dissidente qui remet en cause la trame narrative insistante à la défense des djihadistes, qui les dépeint comme des « rebelles modérés » (depuis les sept dernières années en fait), tout en appelant à encore plus de guerre en Syrie. Curieusement, bien des membres – mais pas tous – du groupe « Media on Trial » sont dans la mire des médias institutionnels. Ils ont tôt fait d’être traités de « pro-Assadistes », de « pro-régime », de « pro-Hezbollah », de « pro-Iran » ou de « robots russes sur Internet ». C’est comme s’ils brandissaient le carton rouge pour punir tous ceux qui s’opposent à de nouvelles tueries au Moyen-Orient, à un autre bombardement aveugle de Trump ou à une montée de la tension entre les deux superpuissances, qui ont des troupes sur le terrain en Syrie, afin de pousser le monde vers une guerre plus large. Mais il existe aussi des comptes inconnusque les médias tolèrent sans problème tant qu’ils défendent la trame narrative anti-Assad.

    Ce pourrait être le résultat d’une méconnaissance des faits, mais les médias institutionnels donnent l’impression qu’ils sont prêts à délaisser leur mission initiale, la seule légitime, qui consiste à « informer les gens en présentant des faits ou en proposant une analyse ». En outre, ils supportent mal la critique et les contre-arguments et ne donnent que le point de vue du gouvernement, sans même tenter de corroborer leur trame narrative « mal ficelée ». N’empêche que le monde les surveille de près, et qu’il y en a beaucoup qui refusent d’accepterla version des faits vue sous un seul angle que nous proposent la télé, les magazines et les journaux. L’intensité et l’accessibilité de l’information sur Internet, plus particulièrement dans les médias sociaux, ont fait en sorte que chacun est maintenant en mesure de se mettre à la recherche de ce qu’il croit être la vérité, en se tournant vers des articles de journalistes rigoureux, des blogs privés, des analyses d’ex-ambassadeurs, d’anciens journalistes et de sources qu’on trouve facilement sur le net. C’est que la crédibilité des médias institutionnels a été ébranlée et que les dommages sont graves.

    Les journalistes ne semblaient pas être prêts à rapporter l’avance de l’armée syrienne dans le camp de Yarmouk, à Yalda et à al-Hajar al-Aswad, au sud de Damas, que le groupe armé « État islamique » (Daech) et al-Qaeda contrôlaient (et contrôlent encore), où ils s’entretuent depuis des années. Les forces armées de Damas remportent une victoire après l’autre contre ceux qui devraient être considérés comme des groupes terroristes, responsables d’attaques continuelles dans le monde entier, surtout depuis les dernières décennies. La confiance acquise par l’armée syrienne se manifeste par une démonstration de force qui parvient lentement, mais sûrement à mettre fin à la campagne futile des bellicistes. En théorie, ce devrait faire les nouvelles, mais rares sont ceux qui choisissent de rédiger un article à ce sujet. Il est probable que les néo-journalistes se contentent de ne rapporter que les faits compatibles avec la politique de leurs journaux, comme l’a indiqué le correspondant du Washington Post à Beyrouth, au détriment de ce que leurs lecteurs veulent savoir et devraient connaître.

    Peut-être que les barons des médias ont décidé de prendre parti et qu’ils ne sont plus intéressés par des reportages équilibrés et par des articles qui ne font que relater ce qui se passe sur le terrain. Si nous prenons l’exemple du Yémen, les mêmes journalistes qui expriment haut et fort leur indignation justifiée à propos de la mort de civils dans la guerre imposée à la Syrie, deviennent totalement muets, en étant incapables de couvrirla guerre de l’Arabie saoudite contre le Yémen, avec le soutien de l’establishment des USA et du R.U.

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    Les mêmes journalistes qui s’énervent tant chaque fois que les forces aériennes syriennes ou russes larguent une bombe pour libérer des villes sont restés relativement cois en ce qui concerne les milliers de civils tués par la US Air Force à Raqqa, au nord de la Syrie, qui a détruitplus de 80 % de la ville, en laissant les mines posées par Daech tuer d’autres habitants qui retournent dans cette cité syrienne maintenant en ruines.

    Aujourd’hui, nous lisons des articles qui citent des militants (même l’establishment des USAs’appuie sur les diresde militants pour bombarder la Syrie!), juste parce qu’ils sont contre le gouvernement de Damas, à un point tel que ces sources douteuses et non vérifiées, interviewées via WhatsApp, sont devenues « reconnues », donc validées par les médias institutionnels.

    Voilà maintenant que les journalistes pointent leurs plumes acérées contre les militants, les journalistes et les universitaires qui s’opposent à la version des faits unilatérale des médias institutionnels à propos de la Syrie, ainsi qu’à leur silence entourant la pire catastrophe humanitairede ce siècle qui se déroule actuellement au Yémen. Mark Lowcock, le chef du Bureau pour la coordination de l’aide humanitaire des Nations Unies, a dit que « la situation au Yémen rappelle l’apocalypse ». Mais cela ne semble pas pertinent pour les médias institutionnels.

    La priorité est donnée à la chasse aux sorcières, dont la saison est maintenant ouverte. Des institutions respectables et des journalistes trouvent quelques cibles parmi ceux qui s’expriment haut et fort dans les médias sociaux et parmi les professeurs d’université afin de faire peur à tous les autres dans le but, semble-t-il, de réduire au silence toute opinion divergente. Le professionnalisme (l’absence de parti pris même devant des situations militaires et politiques inacceptables) ne semble plus faire partie des règles du jeu. Cela pourrait être dû au manque de rigueur au niveau des éditeurs, comme Owen Jonesl’a souligné.

    Impossible d’ignorer l’ironie : Pourquoi accuser les médias internationaux, eux qui ont déclaré la première « intifada » contre les anti-interventionnistes parce que la guerre en Syrie a été perdue malgré l’énorme investissement injecté, tous les efforts et des milliers d’articles annonçant la chute imminente du régime… qui est toujours là?

    Les médias institutionnels sont conscients que les lecteurs ont peu de pitié pour la fausse propagande, la manipulation des faits et la couverture de la guerre de loin. Les lecteurs prendront leur revanche en mettant fin à leurs abonnements, n’en pouvant plus de l’avalanche d’analyses et de prédictions erronées au sujet du sort du gouvernement syrien et de son armée. Voilà pourquoi les journalistes n’accepteront pas leur défaite si facilement et tentent de trouver des boucs émissaires pour détourner l’attention des lecteurs. Mais les grands médias institutionnels ne peuvent évidemment pas se contenter de porter la faute de leur échec concernant l’issue de la guerre en Syrie sur le dos de quelques comptes sur les médias sociaux. Il leur faut des excuses plus substantielles, et c’est là que la Russie entre dans le jeu. Les médias tentent d’insinuer que le succès des militants anti-interventionnistes actifs sur les médias sociaux sont liés à Moscou.

    Cela me rappelle une attaque que le groupe libanais AMAL avait mené contre Israël dans les années 1990, qui avait tué quelques soldats israéliens. AMAL avait revendiqué la responsabilité de l’attaque, mais Tel-Aviv l’a rejetée, en insistant pour accuser le Hezbollah. C’est qu’il aurait été trop humiliant pour l’armée israélienne d’avoir reçu pareille gifle par un groupe militairement faible comme AMAL. Les médias institutionnels font exactement la même chose aujourd’hui : il leur faut un coupable plus grand pour justifier le succès de quelques personnes, en accusant une superpuissance comme la Russie d’être responsable de ce succès, de façon à sauver la face.

    Lorsque je travaillais pour une agence de presse internationale, je regardais les nouvelles provenant des différents fils de presse auxquels l’agence était abonnée, qui s’imprimaient sur un rouleau de papier. Je donnais la préséance aux nouvelles des agences de presse dont l’exactitude et la crédibilité étaient établies depuis longtemps, en accordant moins d’importance à celles qui étaient moins crédibles. Aujourd’hui, les médias institutionnels sont rejetés par des lecteurs de tous les horizons. S’amuser à faire la chasse aux sorcières au lieu de mettre à jour l’actualité, comme la BBC le fait actuellement, est mortel pour la réputation des médias.

    Il est également possible que ces journalistes croient qu’en commettant tous la même erreur, ils s’en sortiront indemnes puisqu’ils ne seront pas tenus responsables. Mais ce qui semble se dessiner très clairement, c’est que des personnes présentes sur les médias sociaux ont maintenant beaucoup plus de succès, notamment au chapitre de l’influence, que les agences de presse, les journaux et les journalistes professionnels établis.

    La guerre en Syrie a été marquée par la chute de bien des présidents partout dans le monde, alors que le gouvernement syrien est toujours en place. Cette réalité aussi affaiblit la position des médias de masse et porte un coup direct à leur crédibilité. Même ceux qui se disent « militants humanitaires » se sont permis d’apporter une « légère » modification au titre de leur mission et de leur soutien à l’occupation de la Syrie. Les USA, la France et le R.U. occupent toujours illégalement une partie du pays, sans montrer d’intention visible d’éliminer Daech sous leur protection au nord-est de la Syrie. Il y a plus de 100 000 jihadistes au nord de la Syrie qui combattent sous la gouverne d’al-Qaeda et de la Turquie. Au sud, Daraa deviendra un enjeu problématique lié directement aux intérêts des USA et d’Israël, qui sont d’empêcher que le gouvernement syrien n’en prenne le contrôle. De fausses « attaques chimiques » et d’autres diversions sont encore possibles. Le feuilleton épique de la guerre en Syrie n’est pas terminé. Je me demande d’ailleurs qui va se retrouver dans la liste noire des médias et qui seront leurs prochaines victimes avant que la guerre ne prenne fin au Levant.

    source:https://ejmagnier.com/2018/04/25/la-sale-guerre-syrienne-eclabousse-les-medias-internationaux/

    https://reseauinternational.net/la-sale-guerre-syrienne-eclabousse-les-medias-internationaux/

     


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    Le Monde, par exemple, est devenu le torchon de l'OTAN, en publiant notamment des fake news pour inciter à la guerre, comme contre la Yougoslavie, ou la Libye, ou maintenant contre la Syrie ; on a là un exemple effroyable du dévoiement de la Presse ennemie des peuples eva R-sistons (pseudo de chantal dupille)

    Comment des journalistes peuvent provoquer des guerres

    Comment des journalistes peuvent provoquer des guerres

     

    Le bombardement de la Syrie, le 14 avril 2018, restera aussi dans les annales comme un exemple des conséquences du journalisme à scandale. Thierry Meyssan revient ici sur l’emploi du sensationnalisme dans la propagande de guerre.

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    En décembre 2016, les Casques blancs co-signèrent cette revendication des jihadistes qui assiègérent Damas et lui coupèrent l’eau. Priver des civils d’accès à l’eau est un crime de guerre.

    En décembre 2016, les Casques blancs co-signèrent cette revendication des jihadistes qui assiègèrent Damas et lui coupèrent l’eau. Priver des civils d’accès à l’eau est un crime de guerre.

    Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont bombardé la Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril 2018. Cette opération, qui constitue une agression en Droit international, a été présentée comme une réponse alliée à l’emploi supposé d’armes chimiques par la République arabe syrienne.

    Le secrétaire à la Défense US, le général James Mattis, a déclaré ne pas disposer de preuve de cette accusation, mais se fonder sur « des articles de presse crédibles ». En 2011, le procureur de la Cour Pénale Internationale, Luis Moreno Ocampo, s’était également fondé sur des articles de presse —aujourd’hui tous démentis— pour lancer un mandat d’arrêt international contre Mouamar Kadhafi, justifiant ainsi l’intervention de l’Otan.

    En 1898, le gouvernement US s’était identiquement fondé sur les « articles de presse crédibles » des journaux de William Randolph Hearst [1] pour lancer la guerre hispano-américaine. Par la suite, ces articles se révélèrent totalement mensongers [2].

    Les « articles de presse crédibles » auquel James Mattis fait référence, quant à lui, se basent sur les déclarations de l’ONG britannique « Casques blancs » (White Helmets). Celle-ci, qui se présente comme une « association humanitaire », est en réalité partie au conflit. Elle a officiellement participé à plusieurs opérations de guerre, dont la coupure d’eau des 5,6 millions d’habitants de Damas durant une quarantaine de jours [3].

    Quelques heures avant le bombardement des alliés, la Russie et la Syrie avaient rendus publics les témoignages de deux hommes, présents à l’hôpital de Douma durant la prétendue attaque chimique. Ils attestaient que celle-ci était une mise en scène et n’a jamais eu lieu [4].

    Comme au XIXème siècle, il serait donc possible aujourd’hui pour des journalistes de manipuler des États et un tribunal international, de les pousser à renverser un régime ou à bombarder d’autres États.

    C’est pourquoi, en démocratie, une partie de la presse revendique constituer un « Quatrième Pouvoir », quoi qu’illégitime car non élu.

    Les médias qui disposent de cette capacité appartiennent à de grands capitalistes qui, par ailleurs, entretiennent des liens étroits avec les responsables politiques qui prétendent par la suite avoir été intoxiqués par leurs « articles crédibles ». William Randolph Hearst était par exemple un proche du président US, William McKinley, qui ambitionnait de lancer la guerre hispano-américaine et qui la déclara.

    À l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, l’Union Soviétique et la France firent adopter par l’Assemblée générale des Nations Unies diverses résolutions condamnant la propagande de guerre [5]. Elles furent transcrites en droit national par les États membres. Théoriquement, les journalistes qui se livrent à cette activité devraient donc être poursuivis. Pourtant ce n’est pas le cas, car dans la pratique seuls les États ont la capacité d’enclencher ce type d’action judiciaire. La propagande de guerre est donc interdite, mais pour le moment seuls des journalistes d’opposition qui n’ont pas la capacité de mener des guerres peuvent en être jugés coupables en droit national, pas les États qui les conduisent.

    [1] Citizen Hearst : A Biography of William Randolph Hearst, W. A. Swanberg, Scribner’s, 1961.

    [2] Public Opinion and the Spanish-American War : a Study in War Propaganda, Marcus Wilkerson, Russell and Russell, 1932. The Yellow Journalism USA, David R. Spencer, Northwestern University Press, 2007.

    [3] « Une « ONG humanitaire » prive d’eau 5,6 millions de civils », Réseau Voltaire, 6 janvier 2017.

    [4] « Les témoignages qui infirment l’accusation des Casques blancs », Réseau Voltaire, 13 avril 2018.

    [5] « Les journalistes qui pratiquent la propagande de guerre devront rendre des comptes », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 14 août 2011.

    source:http://www.voltairenet.org/article200680.html

    https://reseauinternational.net/comment-des-journalistes-peuvent-provoquer-des-guerres/

     


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    Mobilisations étudiantes : les éditocrates face au péril jeune

    Mobilisations étudiantes : les éditocrates face au péril jeune

     

    Depuis début avril, la mobilisation contre la réforme des universités et le système Parcoursup s’est amplifiée de manière spectaculaire avec l’occupation de nombreuses facs. Contre ce mouvement d’une ampleur sans précédent ces dix dernières années, la fine fleur de l’éditocratie n’a pas manqué de se mobiliser. Pour les tauliers des médias, les étudiants seraient en réalité instrumentalisés par une « minorité agissante » issue de l’« ultragauche ». Et bien évidemment, ils se mobiliseraient pour de mauvaises raisons, voire sans raison du tout. Retour sur les plus belles démonstrations de morgue et de mépris médiatique à l’égard des mobilisations étudiantes.

    Difficile d’échapper à cette interview de Georges Haddad, président de l’Université Paris 1, dont les propos ont fait les titres de nombreux articles de presse, et ont été repris dans les journaux télévisés des grandes chaînes et sur les chaînes d’info en continu. Face à un Jean-Pierre Elkabbach visiblement terrifié par l’occupation de Tolbiac, Haddad évoque, sur le ton d’un reportage de Bernard de La Villardière, « la violence, la drogue, le sexe » qui régneraient dans la fac occupée. Arrêt sur Images revient sur cet échange dans un article et dans cette vidéo :

     

     
    Le caractère alarmiste et outrancier de l’entretien prête évidemment à sourire. Il a d’ailleurs été tourné en dérision par les occupants de Tolbiac dans une vidéo pastiche de reportage sur l’occupation de la fac. Cet entretien témoigne néanmoins de la tonalité des commentaires des tauliers des grands médias à l’égard des mobilisations étudiantes.

     

    Journalisme de préfecture (bis)

    Car Jean-Pierre Elkabbach n’est pas le seul à trembler d’effroi en se demandant : « Qui sont-ils, combien sont-ils, d’où viennent-ils ? » C’est également le cas de Nathalie Saint-Cricq, lors d’une interview dominicale sur France Inter avec François Ruffin. Elle interroge le député de la France insoumise sur son soutien aux étudiants :

    « Est-ce que vous pouvez vraiment présenter […] ceux qui bloquent les facs comme des étudiants en détresse, n’y a-t-il pas une tentative, gauche ou extrême-gauche, de noyautage […] ? C’est pas un fantasme, hein. »

    Ce n’est pas un fantasme, puisque l’éditocrate en chef de France 2 a des sources sûres :

    « Il y a manifestement, d’après ce que j’ai lu dans Le Monde qui est peut-être faux, 800 à 1200 personnes qui bloquent et qui font partie de l’ultragauche et qui noyautent le truc, qui ne sont pas véritablement des étudiants ? »

    Mais d’où vient ce chiffre de 800 à 1200 membres de « l’ultragauche » qui noyauteraient les mobilisations étudiantes ? Une simple recherche en ligne nous conduit à deux articles, du Figaro (14 avril) et du JDD (16 avril), qui évoquent tous deux ces chiffres issus… d’une note des renseignements territoriaux (ex renseignements généraux). Quelle source plus fiable que la police pour se renseigner sur les méfaits de « l’ultragauche » – comme l’a récemment démontré le fiasco du procès de Tarnac [1] ?

    Le JDD, en pointe en matière de journalisme de préfecture, reprend à son compte la note des renseignements territoriaux pour qui « il n’y a guère de doute, l’ultragauche est à la manœuvre dans 11 de la quinzaine d’universités occupées, fer de lance de la contestation contre la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur. »

    Mais, outre Le Figaro et l’éditocrate en chef de France 2, le journal dominical a décidément de la concurrence sur son créneau. Sur LCI, Renaud Pila dédie sa chronique, qui fleure bon les éléments de langage policiers, à « la montée de l’ultragauche » et évoque notamment l’occupation de Tolbiac : « les autorités connaissent le pedigree de ces jeunes qui s’en prennent extrêmement violemment à la police : ils sont anarchistes. N’allez pas croire qu’ils veulent refaire mai 68, leur modèle à eux c’est la commune de Paris. Même s’ils ont fait de bonnes études, ils veulent mettre à bas la société capitaliste. Ils sont très peu nombreux, mais ils sont très organisés. » (16 avril)

    « Peu nombreux et très organisés » ? Si l’on ajoutait « très bruyants », on aurait là un portrait sommaire mais suggestif de la poignée d’éditocrates qui reprennent à leur compte, sur tous les plateaux, les éléments de langages policiers et gouvernementaux…

    Un noyau « ultraminoritaire » de « l’ultragauche »

    L’inquiétude autour de ce « noyau » minoritaire de l’ultragauche est, en effet, largement partagée sur les plateaux télévisés. Dans l’émission de Ruth Elkrief sur BFM TV, Hervé Gattegno du JDD dénonce ainsi, sans précision, « une organisation politique, une utilisation, une instrumentalisation » des mobilisations étudiantes.

    L’animatrice n’est pas en reste. Face à Olivier Besancenot, Ruth Elkrief s’interroge : « Est-ce qu’il n’y a pas ce sentiment de forte minorité, de minorité qui serait agissante mais qui ne représente pas l’essentiel ou la majorité des étudiants ? » Puis face à un représentant de la FAGE : « Qui sont les jeunes qui manifestent, qui bloquent, qui font la grève ? Est-ce que ce sont tous des étudiants, est-ce qu’il y a d’autres gens, certains ont l’air de dire qu’il n’y a pas seulement des étudiants ? » (6 avril)

    Sur le plateau d’Yves Calvi sur Canal Plus, « l’expert » multicarte Dominique Reynié est remonté. Il évoque « à la louche entre 10 et 15000 étudiants qui empêchent de travailler l’université française. Il y a deux millions d’étudiants en France. Il y a quatre sites qui sont vraiment bloqués. » Le fondateur du think-tank droitier Fondapol ne cite pas les chiffres de la police, mais il reprend ceux de la ministre de l’enseignement supérieur, comme c’est le cas du Parisien et de nombreux autres titres de presse. Pour Solidaires étudiant ou encore La Croix les universités faisant l’objet d’un blocage reconductible ou illimité sont plutôt au nombre d’une quinzaine.

    Et si Dominique Reynié n’évoque pas « l’ultragauche », il parle d’une « ultraminorité en voie de zadisation ». Et plus précisément d’une « minorité hyperactive, violente qui n’ont pas de respect pour le droit ni pour la démocratie, qui préalablement à un vote éliminent, font sortir ceux qui sont opposés aux choix que l’on veut obtenir dès le départ ».

    De là à penser, comme Romain Goupil (C politique, 8 avril), que les étudiants mobilisés sont de futurs « Khmers rouges », il n’y a qu’un pas… Une semaine auparavant, une chroniqueuse de C Politique avait d’ailleurs identifié un des ressorts des mobilisations étudiantes suite au tabassage d’étudiants par des miliciens d’extrême-droite : « L’ultra-gauche et les mouvements nationalistes ont un besoin vital de s’opposer les uns aux autres, crier au fascisme d’un côté, au bolchévisme de l’autre, ça permet de mobiliser leur base ». Au fond, « ultragauche » et extrême-droite, même combat ?

    Autre grief à l’égard des étudiants : ils n’ont pas de réelles raisons de se mobiliser. Sur le plateau de C dans l’air du 3 avril, Christophe Barbier est perplexe : « Il est quand même curieux de voir […] les étudiants bloquer les facs pour une sélection qui ne leur sera pas appliquée puisqu’ils sont déjà en fac. » Qu’on puisse se mobiliser pour d’autres raisons que ses propres intérêts personnels est visiblement suspect.

    Quant à Raymond Soubie il s’interroge quant aux ressorts des mobilisations : « Il y des nervis qui tapent sur de malheureux étudiants, histoire classique, mais il n’y a pas de sujet ». Mais après tout cela ne le surprend pas trop : « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de sujet qu’il n’y a pas de mouvement car souvent les mouvements de jeunes éclatent, je ne dirais pas sur des non sujets, ce qui ne serait pas gentil, mais en fait sur des sujets qui ne sont pas des sujets centraux ». Circulez, il n’y a rien à voir !

    C’est également le point de vue de Philippe Val et de Franz-Olivier Giesbert sur le plateau de Ruth Elkrief (BFM TV, 6 avril). Un échange fulgurant au sujet des mobilisations étudiantes :

    Philippe Val : « Quand il s’agit des facs, le discours n’a pratiquement pas d’importance. »

    Franz-Olivier Giesbert : « Plus c’est bête, plus ça peut marcher ! »

    Philippe Val : « Plus c’est bête, plus ça peut marcher, oui… »

    Ruth Elkrief : « C’est pas très gentil pour les étudiants. »

    ***

    L’indigence journalistique de ces « analyses » est sidérante. De journalisme et d’analyse il n’est d’ailleurs pas vraiment question, puisque aucune de ces sommités médiatiques ne base ses propos sur un quelconque travail d’enquête qui les aurait menés à quelques stations de métro de leurs studios rencontrer des étudiants ou des enseignants qui auraient pu leur exposer leur point de vue et leurs raisons de rejeter la réforme. Etudiants et enseignants mobilisés sont d’ailleurs systématiquement absents des plateaux télévisés où les éditocrates devisent gaiement de l’irresponsabilité des mobilisations universitaires.

    Et si la frayeur de Jean-Pierre Elkabbach à l’égard de l’occupation de Tolbiac a quelque chose de ridicule ou de plaisant, elle n’est en rien anecdotique. D’abord considérées d’un regard amusé, les mobilisations universitaires de ces dernières semaines sont désormais dans le viseur de l’éditocratie. Tous les moyens sont bons pour relativiser et décrédibiliser la mobilisation des étudiants y compris la reprise des mots d’ordre gouvernementaux et des biais policiers dans la description factuelle des mobilisations. Mais cela n’a pas empêché, jusqu’à présent, le mouvement de prendre de l’ampleur. Et on peut se demander dans quelle mesure ces caricatures médiatiques ne risquent pas de se retourner, comme un boomerang, contre leurs auteurs ; en décrédibilisant en retour une éditocratie qui apparait plus que jamais déconnectée des réalités sociales.

    Frédéric Lemaire
     

    Post-scriptum  : Nous reproduisons ici un tweet de Raphaël Enthoven, effacé depuis, qui rend compte de l’état d’esprit bienveillant des éditocrates à l’égard des mobilisations étudiantes…

    étudiants 20180421 Erratum  : Raphaël Enthoven n’avait pas effacé son tweet, mais bloqué le compte de l’auteur. Comme nous aurions dû nous en douter, il est en réalité tout à fait satisfait de sa sortie.

    source:http://www.acrimed.org/Mobilisations-etudiantes-les-editocrates-face-au

     

    https://reseauinternational.net/mobilisations-etudiantes-les-editocrates-face-au-peril-jeune/

     


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  • "Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?" par ALBERT SALON, ancien ambassadeur, président d'Avenir de la Langue française (ALF)

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    On lui met des chaînes, pour servir l’empire anglo-saxon et sa langue.

    Surtout des chaînes de télévision. Chaînes publiques chaînes privées.

    Je vais prendre ici, parmi toutes les chaînes que la propagande impériale nous fait porter avec de lourds boulets, un seul exemple : France 2,censée être publique, avec une mission de service public, c’est-à-dire d’éducation de son public et d’élévation de son niveau général d’information et de culture.

    Prenons le « vingt-heures » :

    Sur cette demi-heure de grande écoute, entre deux et cinq minutes – qui doivent coûter fort cher (à qui ?) – sont très souvent consacrées à la présentation de produits du cinéma états-unien, à leur promotion par projection d’extraits et par dialogues avec les réalisateurs ou les acteurs très pipol qui y ont trempé.

    Avez-vous remarqué, au demeurant, que ce ne sont pas toujours, loin de là, les meilleurs films américains qui bénéficient ainsi de ces coups de pouce sur notre marché, au détriment de notre propre cinéma, qui ne jouit pas tout-à-fait des mêmes faveurs ?

    Les vedettes invitées, appelées « stars », s’offrent complaisamment à nos regards pour, généralement, nous débiter des platitudes atterrantes.

    Il y a vingt ans – car le pli est pris depuis longtemps – les invités nord-américains s’efforçaient encore d’esquisser en français un « bonsoir » ou un « merci », voire parfois la très brève excuse : « désolé, je ne parle pas bien le français ». De nos jours, ils ne s’embarrassent plus de ces politesses superfétatoires et, du reste, hypocrites.

    Ils sont reçus chez les vassaux qui les ont sollicités, et ils reçoivent avec quelque condescendance les hommages et l’admiration qui leur sont dus en leur qualité de représentants du peuple élu.

    L’aimable petit seigneur local du vingt-heures ou la charmante présentatrice qui a réussi à les faire venir, s’en glorifie et leur sert la soupe, essaie parfois de les amener à parler de leurs liens avec la France ou la culture française. Après tout, n’est-ce pas normal ? Surtout lorsque, tel Dustin Hoffman, ils font partie de la longue cohorte d’histrions et terminators hollywoodiens qui ont reçu une haute décoration française, censée récompenser des services rendus à notre culture, à notre langue, voire à notre cinéma : Arts et Lettres, Mérite, Légion d’Honneur, dans les ors de la République, des mains du ministre de la Culture, quand ce n’est pas du Président. Souvent au grade de Commandeur, pour hisser l'Ordre et la France au niveau de la notoriété internationale des personnages-idoles ainsi perchés, aussi en vue.

    Après tout, pensent peut-être les récipiendaires parfois étonnés, à peine flattés, si la vieille cocotte France veut se faire encore aimer en distribuant ses médailles, pourquoi pas ? Si cela peut lui faire plaisir…

    Mais qu’elle ne s’avise pas trop de leur demander devant ses caméras s’ils connaissent et aiment ses camélias : la réponse de Dustin Hoffmann en février 2009 a été une pièce d’anthologie. Je la résume : « Oh ! Moi, vous savez, je suis d’un milieu très pauvre, mes parents ne lisaient pas, je n’ai guère eu dans l’enfance ni plus tard l’occasion de m’intéresser à la France et à sa culture ! »...

    L’autisme de ces milieux états-uniens, dans sa splendeur, et l'aplat-ventrisme intéressé des "nôtres"...

    L’Allemagne, la Hollande, l’Espagne, la Pologne, la Hongrie, sont-elles aussi indignes, aussi prodigues que la République de ces bouquets dont elle fait ainsi des fleurs fanées, dévalorisées aux yeux de ses citoyens ?

    D’ailleurs, que la télévision vous montre-t-elle de ces pays ? Surtout de leurs cultures ? Voyez-vous souvent, au « vingt-heures »des présentations de leurs films ? Ne sont-ce pas des pays européens ? Ne cherchons nous pas, selon la vulgate officielle, à faire l’Europe ?

    La télévision nous révèle là la vérité, le cœur du système : « Qui vous parle d’Europe ? Il faut que tous les yeux et les oreilles, tous les esprits conquis du continent européen, soient et restent fixés sur les Etats-Unis, sur sa langue, servent l’empire américain, perinde ac cadaver, et regardent le moins possible ailleurs".

    Libre à nous – direz-vous - de ne pas regarder, d’éteindre ou de « pitonner »* ? Certes. Mais combien de téléspectateurs usent de cette liberté ? Tous les autres subissent ce détournement, ce vol éhonté d’un temps d’antenne qui leur est dû, qu’ils ont payé en principe pour avoir une information plus élevée que la bouillie de propagande vassalisante qui leur est ainsi versée.

    C’est la France et sa langue que l’on agenouille, bat et rebat et abâtardit !

    Cela va dans le même sens que la réintégration dans la structure militaire de l’OTAN, la fédéralisation de l'UE sous l'égide de l'empire, et que le passage de l'enseignement supérieur à l'anglo-américain, au "globish" pour colonisés.

    Il faut s'indigner, hurler la révolte du citoyen sain ; il faut résister, secouer ce joug, retrouver la souveraineté de la France !"

     ___

    Albert Salon, docteur d’Etat ès lettres, est ancien Ambassadeur. 

    http://www.politique-actu.com/osons/entends-cris-sourds-pays-enchaine-albert-salon-ancien-ambassadeur-president-avenir-langue-francaise/678999/

     

     


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